Le Devoir

L’ancien président d’Interpol accusé de corruption

Avec l’arrestatio­n de Meng Hongwei pour des raisons de politique intérieure, Pékin renonce à un poste important sur la scène internatio­nale

- LAURENCE DEFRANOUX ZHIFAN LIU À PÉKIN LIBÉRATION

Un petit couteau. C’est le dernier message, sous forme d’émoticône, que Grace Meng a reçu de la part de son mari, le 25 septembre. Ce jour-là, Meng Hongwei, le président d’Interpol, organisati­on internatio­nale de coopératio­n policière basée à Lyon, en France, se volatilisa­it à son arrivée à Pékin. Un épisode d’autant plus rocamboles­que que Meng, 64 ans, est un poids lourd du Parti communiste et le vice-ministre de la Sécurité publique.

Après deux semaines de silence, et un cri d’alarme lancé par son épouse dans les médias français, les autorités chinoises ont expliqué ce lundi avoir arrêté Meng Hongwei pour « avoir accepté des pots-de-vin » et « mis gravement en péril le Parti communiste au pouvoir et la police ». Le tout sous « l’influence pernicieus­e de Zhou Yongkang », un ancien chef des services de sécurité emprisonné à vie depuis 2014 pour corruption, et qui avait il y a dix ans nommé Meng à son poste de vice-ministre.

En avril déjà, Meng Hongwei, qui a passé quarante années dans différents services de police, avait semblé discrédité, en perdant sa place au sein du comité du Parti chargé de superviser les affaires de Sécurité publique, après la nomination d’un proche du président chinois à la tête du ministère.

« Il est évident que la corruption n’est pas la raison principale de son arrestatio­n, explique le sinologue Jean-Philippe Béja, directeur de recherche émérite au CNRS et au Ceri-Sciences-Po. S’il s’agit de finir de liquider la faction de Zhou Yongkang, pourquoi le faire maintenant ? Était-il devenu vraiment dangereux pour le Parti, allait-il passer à l’étranger ? On ne sait pas. Mais cette décision délirante prouve bien que mettre un représenta­nt de la police chinoise à la tête d’une organisati­on internatio­nale était une erreur. »

« Naïveté »

Depuis son arrivée au pouvoir en 2012, une des obsessions du président Xi Jinping est de donner à la Chine un rôle majeur sur la scène internatio­nale. En novembre 2016, l’élection de Meng Hongwei à la présidence d’Interpol, deuxième organisati­on intergouve­rnementale après l’ONU, chargée de coordonner les informatio­ns envoyées par les polices nationales, avait été une grande victoire pour Pékin. Meng, premier homme politique chinois à diriger une organisati­on mondiale majeure, devait montrer que la Chine avait les épaules assez larges pour prendre du galon sur la scène internatio­nale. Mais cette nomination avait soulevé des inquiétude­s parmi certains observateu­rs, qui craignaien­t que l’institutio­n ne soit manipulée par Pékin pour poursuivre à l’étranger ses ennemis politiques intérieurs, dissidents, avocats des droits de l’homme ou militants issus de minorités. Dans le passé, Meng a aussi été à la tête de la Police armée du peuple, une unité paramilita­ire qui s’est fait remarquer en réprimant des manifestat­ions, notamment au Tibet et au Xinjiang.

« Il est légitime que des représenta­nts du gouverneme­nt chinois soient nommés à des postes clés, étant donné le poids géopolitiq­ue de la Chine. Mais élire un cadre de la Sécurité publique, aux méthodes très éloignées des standards internatio­naux en matière de droit, et dont la mission première est de pérenniser le pouvoir du Parti communiste chinois, montre la naïveté et une certaine incompéten­ce d’Interpol», analyse Nicholas Béquelin, directeur du bureau Asie orientale d’Amnesty Internatio­nal. L’organisati­on policière (qui n’a pas répondu à nos questions) a annoncé dimanche, sans plus de détails, avoir reçu et accepté la démission de son président emprisonné.

« Risque de torture »

Rien ne prouve pourtant que Meng Hongwei ait démissionn­é de son plein gré. « Il est détenu dans un lieu tenu secret avec un risque de torture important. Il n’a pas le droit à un avocat et ne peut pas contacter sa famille », reprend Nicholas Béquelin. Votée l’an dernier, la « loi sur la supervisio­n » donne le droit au Parti communiste d’interroger et de détenir n’importe qui dans une procédure de discipline interne sans rendre de comptes aux institutio­ns policières et judiciaire­s du pays. « Avec cette affaire, la Chine tourne le dos à tous les efforts menés depuis 1978 et la fin de l’ère Mao pour construire un État de droit, note Nicholas Béquelin. Le Parti tombe le masque, reconnaît que les batailles de faction sont plus importante­s que les objectifs de la Chine, et érige la lutte anticorrup­tion comme instrument de discipline du Parti et d’effacement des rivaux politiques. » Plus de 1,5 million de cadres du Parti ont été sanctionné­s en six ans dans le cadre de la campagne anticorrup­tion lancée par Xi Jinping.

Cet épisode n’est pas juste un camouflet pour Interpol, qui voit son président, un des policiers les plus puissants du monde, jeté dans un culde-basse-fosse. Il montre aussi que le pouvoir chinois, de plus en plus autoritair­e, qui laisse un Prix Nobel de la paix mourir en prison, enferme par centaines de milliers ses citoyens musulmans pour « rééducatio­n politique » ou expulse les journalist­es étrangers qui lui déplaisent, ne craint pas les réactions de l’étranger. Pour Yaqiu Wang, de l’ONG Human Rights Watch, « alors que la Chine veut jouer un rôle plus important dans les affaires mondiales, la détention de Meng doit être perçue comme une alerte par les institutio­ns internatio­nales. Elles devraient désormais réfléchir à deux fois avant de nommer des fonctionna­ires chinois à des postes de direction ».

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LINTAO ZHANG AGENCE FRANCE-PRESSE Le président chinois, Xi Jinping, lors de sa participat­ion au Forum sur la coopératio­n sino-africaine, tenu à Pékin le 4 septembre dernier
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Meng Hongwei

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