L’amant de Lady Chatterley, ou l’éros édulcoré
Trahir ou rester fidèle? C’est un dilemme auquel se confronte tout artiste qui s’empare d’une oeuvre littéraire pour la faire sienne. En adaptant L’amant de Lady Chatterley à la scène, Cathy Marston colle au contexte historique d’une oeuvre sulfureuse devenue classique… et à ses aspects datés. Malgré une partition originale livrée avec dextérité par les interprètes des Grands Ballets, la pièce passe à côté d’une réactualisation pertinente de l’amoureuse figure littéraire.
À défaut, il faut admettre que Mme Marston fait preuve d’une belle inventivité chorégraphique. La scénographie conçue en un plan incliné permet une très intéressante utilisation du sol autant par les rôles principaux que par le corps de ballet, apportant une touche contemporaine salutaire aux figures ballettiques. Un autre point fort de cette relecture est l’importance accordée aux personnages orbitant autour du couple Connie-Oliver. Il est alors question de la façon dont cette passion dévorante entre une femme bourgeoise et un homme prolétaire — relation transgressant les bonnes moeurs héritées de l’ère victorienne et les barrières de classes — vient non seulement affecter et transformer les deux protagonistes principaux, mais aussi faire basculer les valeurs de leurs proches.
Si la mise en évidence de certains symboles démontre une recherche sérieuse et honnête à propos des thèmes du roman, en revanche quand il est question de sexualité, sans grande surprise, cela reste si propret qu’un effet comique se glisse dans la représentation virtuose et vertueuse des ébats entre les deux amants.
Est-ce parce que la chorégraphe s’attache à une représentation édulcorée de la sexualité que le message véhiculé par la pièce nous paraît si désuet ? Ou serait-ce parce que certains carcans de genre s’y retrouvent encore enjolivés ?
Manque de « oumf »
La dynamique dans les pas de deux veut qu’Oliver (Raphaël Bouchard) exerce sur Connie (Éline Malègue) une force à laquelle elle cède amoureusement et se soumet. Même si l’on décèle quelques tentatives de faire contrepoids à cette dynamique par certains gestes suggestifs de Connie, cela ne va jamais assez loin pour qu’elle paraisse vraiment agente de son désir. Ainsi, à de trop rares moments, on la voit attirer son amant dans ses transports. Celui-ci apparaît souvent comme un chevalier servant, sauveur de l’ennui conjugal de son amante. Un douloureux ennui posé maladroitement en parallèle avec une romantisation de la vie des prolétaires (les mineurs).
Les scènes où les deux amoureux se trouvent isolés, torturés et hantés par leurs souvenirs charnels se répètent. Ces moments restent souvent au ras des pâquerettes, et une forte impression de redites se dégage du tout. L’évitement d’une représentation franche de l’éros — qui implique aussi une part de laideur et de trivialité —, interdit par les codes du ballet, y est pour quelque chose.
Dans son adaptation, Cathy Marston ne trahit pas assez D. H. Lawrence quant aux aspects poussiéreux du roman, et ne lui reste pas assez fidèle dans le traitement franc de l’amour physique. Et nous croyons — car nous l’avons vu chez d’autres — qu’il y a des moyens, en danse, d’oser un plongeon dans l’éros au féminin sans pour autant glisser dans la complète vulgarité. Sans un minimum d’audace, il est difficile de réellement ressentir ce «oumf» dans le ventre que le roman, malgré ses défauts, parvient à produire.
L’amant de Lady Chatterley Chorégraphie de Cathy Marston avec les danseurs et danseuses des Grands Ballets canadiens de Montréal, et orchestre dirigé par Dina Gilbert. À la salle Wilfrid-Pelletier, du 4 au 13 octobre.