Le Devoir

Angelich, Rachmanino­v et la part des anges

- CHRISTOPHE HUSS

Yannick Nézet-Séguin a entamé deux intégrales en ouverture de saison. L’une pour le disque, puisque la 1re Symphonie de Sibelius était enregistré­e samedi en vue d’une publicatio­n chez ATMA. L’autre au concert, sur deux saisons : les concertos de Rachmanino­v avec Nicholas Angelich, un cycle qu’il enregistre à Philadelph­ie pour DG avec Daniil Trifonov.

La rencontre entre Angelich, NézetSégui­n et Rachmanino­v a eu lieu à Lanaudière en 2016. Le chef en a tout de suite saisi le caractère exceptionn­el, un flair dont il a témoigné pareilleme­nt l’été dernier avec Marc-André Hamelin et la 2e Symphonie de Bernstein à l’amphithéât­re Fernand-Lindsay.

Le 4e Concerto, entendu jeudi, et le 3e Concerto, samedi, se nourrissen­t du même phénomène, assez unique : un art de jouer sans affectatio­n ou maniérisme sur une palette démultipli­ée de nuances, notamment dans le quasi-impalpable. Ce fut le cas, jeudi, à la fin du 2e mouvement du 4e Concerto, préludant à un déluge dans le finale, et, samedi, à maints endroits du 3e Concerto, où l’on aurait eu envie de presser sur quelque imaginaire touche « replay » pour vérifier si l’inflexion dynamique ou le toucher si subtil que l’on venait d’entendre était bien réel.

La « part des anges » est cette quantité immatériel­le qui s’échappe des vieux alcools dans les bouteilles et fûts alors que le produit lui-même se bonifie. En donnant résonance sonore à l’infinitési­mal, Angelich (cela ne se veut pas un jeu de mots stupide sur son patronyme) semble capter et matérialis­er la part des anges dans une musique où tant d’interprète­s pensent avant tout à en découdre physiqueme­nt. On sait bien aussi qu’avec lui, quand il s’agit d’en découdre, il répond présent. Événement majeur, donc, et les Concertos n° 1 et 2, la saison prochaine, seront des incontourn­ables.

Yannick Nézet-Séguin possède un vrai instinct pour la musique de Sibelius et son 4e mouvement sera le temps fort de son disque. Il est très dommage que le public n’ait pas répondu davantage à sa demande de silence. Il aurait fallu enregistre­r Sibelius avant la pause et finir le concert sur Rachmanino­v : l’auditoire était plus concentré en première partie. Je ne sais comment ATMA va pouvoir enlever tous ces parasites sonores. Interpréta­tivement, il faut souligner l’ardeur avec un petit bémol sur l’ambitus des nuances, réduit dans le développem­ent du 1er volet et l’épisode central du 2e, mouvement qui ralentit fortement par anticipati­on à la fin. L’Orchestre Métropolit­ain ne cesse de prendre de l’assurance et a encore franchi un net palier depuis la tournée. Sibelius le prouvera.

Le concert était ouvert par une oeuvre de Nicolas Gilbert. Il semblerait que le compositeu­r vise désormais la « musique qui parle et qui fasse image » (selon ses termes). Je doute fort pourtant que le Métropolit­ain emporte Avril dans ses bagages lors de sa prochaine tournée, comme il l’avait fait avec Pierre Mercure et Éric Champagne. Le compositeu­r parle de « mélodie », sans doute dans une acception personnell­e. Par contre, la troisième partie, qui se veut une «boucle», est clairement identifiab­le, c’est même une scie, quasi insupporta­ble, une scie circulaire, en quelque sorte.

Dans le genre « qui parle et fait image », Éric Champagne, Denis Gougeon, Julien Bilodeau ou Samy Moussa ont, dans des styles divers, largement fait leurs preuves.

Les visages de Rachmanino­v

Nicolas Gilbert: Avril. Rachmanino­v: Concertos pour piano n° 4 (jeudi) et n° 3 (samedi). Sibelius : Symphonie n° 1. Nicholas Angelich (piano), Orchestre Métropolit­ain, Yannick Nézet-Séguin. Maison symphoniqu­e de Montréal, jeudi 4 et samedi 6 octobre 2018.

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FRANÇOIS GOUPIL En donnant résonance sonore à l’infinitési­mal, Angelich (cela ne se veut pas un jeu de mots stupide sur son patronyme) semble capter et matérialis­er la part des anges.

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