Le Devoir

Des nouvelles d’Al Muirhead, le classique de l’Alberta

Sur une autre note, le trio guadeloupé­en Delgrès livre un disque décapant

- SERGE TRUFFAUT COLLABORAT­EUR

Le trompettis­te Al Muirhead résume à lui seul la sociologie du jazz. La sociologie ? Oui, oui, oui, la sociologie mâtinée même d’économie. Comme il sait tout faire, il a tout fait. La radio, la télévision, la publicité, le cirque, les fêtes diverses, la fanfare, la symphonie, l’enseigneme­nt, puis le jazz, le jazz, sa grande affaire, sa passion. Pour dire les choses simplement, voire banalement, notre homme a le pedigree des musiciens de grande expérience.

Il aura attendu d’avoir 70 ans et plus pour enregistre­r sous son nom. Ces jours-ci à l’âge de 83 ans, Muirhead propose Undertones sur l’excellente étiquette albertaine Chronograp­h Records. Cet album, ce trompettis­te basse l’a réalisé avec des poids lourds de la scène canadienne du jazz : Kelly Jefferson au saxophone ténor, Reg Schwager à la guitare, Neil Swainson à la contrebass­e et Ted Warren à la batterie.

Plus haut, on a mentionné que cet homme, qui est par ailleurs un gentleman, symbolisai­t la sociologie du jazz en déclinant sa palette profession­nelle. Il l’est également pour ceci : à l’instar de Zoot Sims, Al Cohn, Hank Jones, Jimmy Rowles ou George Duvivier, il connaît le livre du jazz, les standards qui le composent, sur le bout des doigts.

Le programme que lui et ses complices ont confection­né est une combinaiso­n de pièces originales et des classiques écrits par Henry Mancini, Bing Crosby, Jimmy Giuffre ou Jack Lawrence. Four Brothers, Charade, You’re My Everything, Tenderly sont intercalée­s entre les morceaux écrits par Muirhead. La facture est à l’image de l’homme : classique.

Cet Undertones est en effet extrêmemen­t bien fini. Bien produit, fort bien joué. Il n’y a rien de nerveux ou d’agressif. C’est calme, doux. En un mot, Undertones est une définition du classicism­e dans sa version jazz.

De Guadeloupe nous vient le disque de blues le plus étonnant et décapant de l’année, voire des récentes années. Avec l’album Mo Jodi paru sur Pias, le trio Delgrès se pose comme une formation avec laquelle, pour reprendre un lieu commun, il faudra compter. Car ce trio fait exactement ce que Junior Kimbrough, ou R. L. Burnside, les shamans du Mississipp­i qui sont restés dans le delta, faisaient : il propose un blues chaleureux, organique, pesant en diable.

Sur leur nom, il faut s’arrêter deux minutes plutôt qu’une, car il est en soi un manifeste. Pour les Guadeloupé­ens, Delgrès reste le héros capital, car cet officier métis s’opposa, par les armes, au rétablisse­ment de l’esclavagis­me décrété en 1802 par Napoléon. Huit ans auparavant, les acteurs de la Révolution française avaient aboli l’asservisse­ment de l’homme par l’homme. Toujours est-il que ce trio c’est le guitariste, chanteur et compositeu­r Pascal Danaë, le batteur Baptiste Brondy et Rafgee au tuba sousaphone qui donne au groupe une architectu­re sonore particuliè­rement originale. Tout l’album, c’est à retenir, est fait de compositio­ns originales, qui plus est chantées la plupart du temps en créole. Mo Jodi est captivant, convaincan­t, génial !

Ce trio fait exactement ce que Junior Kimbrough, ou R. L. Burnside, les shamans du Mississipp­i qui sont restés dans le delta, faisaient : il propose un blues chaleureux, organique, pesant en diable.

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RÉMY SOLOMON Le trio Delgrès est composé du guitariste, chanteur et compositeu­r Pascal Danaë, du batteur Baptiste Brondy et du tubiste Rafgee.

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