Le Devoir

Guy, le faux documentai­re plus vrai que vrai

Le documenteu­r d’Alex Lutz fermera le Festival du nouveau cinéma

- FRANÇOIS LÉVESQUE

Des années 1960 aux années 1980, Guy Jaumet a fait les belles heures de la radio et de la télé françaises. Chanteur populaire et idole d’une génération, son étoile a pâli au cours des années 1990 avant que les médias l’oublient — contrairem­ent à son public un peu partout en province. Guy Jaumet en est à tenter un retour à l’avant-scène lorsque Gauthier, un jeune cinéaste, lui soumet l’idée d’un documentai­re. En réalité, le second vient d’apprendre qu’il est le fils illégitime du premier. Sans rien lui dévoiler de son identité véritable, Gauthier entreprend donc de suivre Guy partout avec sa caméra. Pastiche satirique brillammen­t conçu, Guy voit Alex Lutz réussir l’exploit d’un faux documentai­re plus vrai que vrai. L’acteurréal­isateur sera de passage au Festival du nouveau cinéma, qui se clôt samedi avec son film.

Précision folle

Fiction déguisée en documentai­re, un documenteu­r, Guy est bluffant d’authentici­té derrière sa drôlerie. Il s’agit de la seconde réalisatio­n d’Alex Lutz, comédien rompu aux planches depuis l’adolescenc­e et devenu célèbre notamment grâce aux sketches Catherine et Liliane, sur Canal + (il incarne Catherine).

« J’ai adoré tourner mon premier film [Le talent de mes amis, sur la complicité contrariée de deux copains de longue date], mais tourner une production de format classique, ça s’accompagne d’un lot de contrainte­s ; c’est une machine. J’ai un peu souffert de cette pesanteur. Si j’ai opté cette fois pour le faux documentai­re, c’est afin d’être plus libre. Ce format permet de capter l’énergie de la vie et d’avoir une rapidité, une souplesse dans la mise en oeuvre des situations… Et puis, j’adore créer des personnage­s, et Guy devait être “plausible”. Je ne l’envisageai­s pas du tout comme une caricature. »

De fait, la satire, tant du milieu que de celles et ceux qui y évoluent, est d’une précision folle. Tout débordemen­t est exclu, que ce soit du côté de la farce ou du grotesque : même quand on rit, ce pourrait être vrai. On le comprend vite, Alex Lutz ne cherche pas à se moquer de Guy et de ce qu’il représente, au contraire.

« C’est bien plus un hommage. Or si vous voulez rendre hommage à un personnage inventé, vous devez le rendre crédible. Il y a aussi une part de méditation sur le temps qui passe et sur le rapport qu’un artiste entretient avec la scène et le public — ça, c’est un aspect que je comprends viscéralem­ent. Je voulais faire un portrait humain et relater une rencontre sincère entre ce sujet, Guy, et ce fils, Gauthier, qui tait son identité réelle pour mieux apprendre à connaître ce père qu’il découvre à peine être le sien. »

Sous son maquillage vieillissa­nt hyperréali­ste, Alex Lutz adopte une poignée de tics non intrusifs crédibles, le subterfuge lui permettant d’apparaître tel qu’en lui-même dans des documents audiovisue­ls d’archives (fictifs) rappelant ses grands succès, comme Dadidou. Ce duo entre Guy Jaumet et Anne-Marie (Élodie Bouchez, le look fin années 1960 plus que parfait) sonne comme un vieux hit quétaine d’alors (attention : ver d’oreille). Au présent, c’est l’actrice et chanteuse Dani, une figure marquante de l’époque, qui l’incarne le temps de quelques scènes comiques puis touchantes.

On pense à cet enregistre­ment en studio auquel elle participe avec Guy et Julien Clerc, ce dernier jouant son propre rôle, à l’instar de plusieurs personnali­tés connues. « Mes intentions étaient très claires dans la propositio­n écrite : il n’était pas question de les tourner en dérision. Il y avait de l’humour dans les situations plutôt que dans les gens, et parfois l’émotion dominait. »

À cet égard, on ne s’approche jamais du cliché du has-been narcissiqu­e inconscien­t de sa propre ringardise. La manière et le propos d’Alex Lutz campent son film autre part.

« J’avais envie de raconter une vie. Guy, tout au long de ce documentai­re que tourne Gauthier, vit des émotions liées au vieillisse­ment, à la maladie, à la filiation aussi, beaucoup… Et ça, ce n’est pas par le ricanement que ça se communique au public. »

Selon Alex Lutz, toutes les vedettes, petites et grandes, charrient une image qui leur colle à la peau, mais qui ne correspond pas nécessaire­ment à ce qu’elles sont intimement.

« Je vous donne un exemple extrême, mais suivez partout Céline Dion pendant 24 heures, et vous la verrez différemme­nt. Ou pendant cinq jours, ou pendant trois mois, et dans chaque cas, vous découvrire­z des facettes insoupçonn­ées de la personne ; il n’y a que la proximité soutenue qui permet ça. Et le temps. »

D’ailleurs, c’est très graduellem­ent que le ton change et devient plus prenant. Guy, qui se confie sans fauxfuyant à la caméra inquisitri­ce de Gauthier, est-il bel et bien dupe de l’identité réelle du jeune homme ?

Là-dessus, l’interpréta­tion d’Alex Lutz demeure d’une ambiguïté merveilleu­se en dépit du latex qui lui couvre le visage. Cela jusqu’au dénouement, qui a l’heur de satisfaire en maintenant un équilibre précaire entre ce qui est dit, ce qui est tu et ce qui est suggéré.

« Le film n’était pas l’endroit de la résolution. La grande scène des retrouvail­les, si elle a lieu, existe hors du film. Le film, c’est la rencontre », conclut-il.

Sans en dévoiler la teneur, la fin, si dénuée d’effusions soit-elle, n’en est pas moins poignante. Un tour de force, en somme.

Après son passage au FNC, Guy prendra l’affiche le 19 octobre.

 ??  ??
 ?? MK2 MILE END ?? Sous son maquillage vieillissa­nt hyperréali­ste, Alex Lutz (40 ans) incarne Guy Jaumet (74 ans).
MK2 MILE END Sous son maquillage vieillissa­nt hyperréali­ste, Alex Lutz (40 ans) incarne Guy Jaumet (74 ans).

Newspapers in French

Newspapers from Canada