Guy, le faux documentaire plus vrai que vrai
Le documenteur d’Alex Lutz fermera le Festival du nouveau cinéma
Des années 1960 aux années 1980, Guy Jaumet a fait les belles heures de la radio et de la télé françaises. Chanteur populaire et idole d’une génération, son étoile a pâli au cours des années 1990 avant que les médias l’oublient — contrairement à son public un peu partout en province. Guy Jaumet en est à tenter un retour à l’avant-scène lorsque Gauthier, un jeune cinéaste, lui soumet l’idée d’un documentaire. En réalité, le second vient d’apprendre qu’il est le fils illégitime du premier. Sans rien lui dévoiler de son identité véritable, Gauthier entreprend donc de suivre Guy partout avec sa caméra. Pastiche satirique brillamment conçu, Guy voit Alex Lutz réussir l’exploit d’un faux documentaire plus vrai que vrai. L’acteurréalisateur sera de passage au Festival du nouveau cinéma, qui se clôt samedi avec son film.
Précision folle
Fiction déguisée en documentaire, un documenteur, Guy est bluffant d’authenticité derrière sa drôlerie. Il s’agit de la seconde réalisation d’Alex Lutz, comédien rompu aux planches depuis l’adolescence et devenu célèbre notamment grâce aux sketches Catherine et Liliane, sur Canal + (il incarne Catherine).
« J’ai adoré tourner mon premier film [Le talent de mes amis, sur la complicité contrariée de deux copains de longue date], mais tourner une production de format classique, ça s’accompagne d’un lot de contraintes ; c’est une machine. J’ai un peu souffert de cette pesanteur. Si j’ai opté cette fois pour le faux documentaire, c’est afin d’être plus libre. Ce format permet de capter l’énergie de la vie et d’avoir une rapidité, une souplesse dans la mise en oeuvre des situations… Et puis, j’adore créer des personnages, et Guy devait être “plausible”. Je ne l’envisageais pas du tout comme une caricature. »
De fait, la satire, tant du milieu que de celles et ceux qui y évoluent, est d’une précision folle. Tout débordement est exclu, que ce soit du côté de la farce ou du grotesque : même quand on rit, ce pourrait être vrai. On le comprend vite, Alex Lutz ne cherche pas à se moquer de Guy et de ce qu’il représente, au contraire.
« C’est bien plus un hommage. Or si vous voulez rendre hommage à un personnage inventé, vous devez le rendre crédible. Il y a aussi une part de méditation sur le temps qui passe et sur le rapport qu’un artiste entretient avec la scène et le public — ça, c’est un aspect que je comprends viscéralement. Je voulais faire un portrait humain et relater une rencontre sincère entre ce sujet, Guy, et ce fils, Gauthier, qui tait son identité réelle pour mieux apprendre à connaître ce père qu’il découvre à peine être le sien. »
Sous son maquillage vieillissant hyperréaliste, Alex Lutz adopte une poignée de tics non intrusifs crédibles, le subterfuge lui permettant d’apparaître tel qu’en lui-même dans des documents audiovisuels d’archives (fictifs) rappelant ses grands succès, comme Dadidou. Ce duo entre Guy Jaumet et Anne-Marie (Élodie Bouchez, le look fin années 1960 plus que parfait) sonne comme un vieux hit quétaine d’alors (attention : ver d’oreille). Au présent, c’est l’actrice et chanteuse Dani, une figure marquante de l’époque, qui l’incarne le temps de quelques scènes comiques puis touchantes.
On pense à cet enregistrement en studio auquel elle participe avec Guy et Julien Clerc, ce dernier jouant son propre rôle, à l’instar de plusieurs personnalités connues. « Mes intentions étaient très claires dans la proposition écrite : il n’était pas question de les tourner en dérision. Il y avait de l’humour dans les situations plutôt que dans les gens, et parfois l’émotion dominait. »
À cet égard, on ne s’approche jamais du cliché du has-been narcissique inconscient de sa propre ringardise. La manière et le propos d’Alex Lutz campent son film autre part.
« J’avais envie de raconter une vie. Guy, tout au long de ce documentaire que tourne Gauthier, vit des émotions liées au vieillissement, à la maladie, à la filiation aussi, beaucoup… Et ça, ce n’est pas par le ricanement que ça se communique au public. »
Selon Alex Lutz, toutes les vedettes, petites et grandes, charrient une image qui leur colle à la peau, mais qui ne correspond pas nécessairement à ce qu’elles sont intimement.
« Je vous donne un exemple extrême, mais suivez partout Céline Dion pendant 24 heures, et vous la verrez différemment. Ou pendant cinq jours, ou pendant trois mois, et dans chaque cas, vous découvrirez des facettes insoupçonnées de la personne ; il n’y a que la proximité soutenue qui permet ça. Et le temps. »
D’ailleurs, c’est très graduellement que le ton change et devient plus prenant. Guy, qui se confie sans fauxfuyant à la caméra inquisitrice de Gauthier, est-il bel et bien dupe de l’identité réelle du jeune homme ?
Là-dessus, l’interprétation d’Alex Lutz demeure d’une ambiguïté merveilleuse en dépit du latex qui lui couvre le visage. Cela jusqu’au dénouement, qui a l’heur de satisfaire en maintenant un équilibre précaire entre ce qui est dit, ce qui est tu et ce qui est suggéré.
« Le film n’était pas l’endroit de la résolution. La grande scène des retrouvailles, si elle a lieu, existe hors du film. Le film, c’est la rencontre », conclut-il.
Sans en dévoiler la teneur, la fin, si dénuée d’effusions soit-elle, n’en est pas moins poignante. Un tour de force, en somme.
Après son passage au FNC, Guy prendra l’affiche le 19 octobre.