Le Devoir

Ottawa largue Michaëlle Jean

- MARIE VASTEL CORRESPOND­ANTE PARLEMENTA­IRE À OTTAWA

La carrière de Michaëlle Jean au sein de l’Organisati­on internatio­nale de la Francophon­ie est pour ainsi dire terminée. Justin Trudeau et François Legault l’ont tous deux laissée tomber pour appuyer plutôt la candidatur­e de la Rwandaise Louise Mushikiwab­o au poste de secrétaire générale de l’organisme. Une nouvelle que l’équipe de Michaëlle Jean a apprise… du Devoir.

Les premiers ministres canadien et québécois s’apprêtaien­t à prendre l’avion ensemble vers le sommet d’Erevan en Arménie, mardi, lorsqu’ils ont tour à tour confirmé qu’ils se rangeront derrière le consensus FranceAfri­que au lieu de défendre la réélection de Michaëlle Jean jusqu’à la toute dernière minute.

Le gouverneme­nt canadien laissait déjà entendre depuis une semaine, en coulisses, qu’il pourrait finir par accepter cette tradition de consensus qui règne au sein de l’OIF lors d’élections au poste de secrétaire général. Mais le bureau de la ministre de la Francophon­ie Mélanie Joly l’a finalement confirmé publiqueme­nt mardi : « Nous saluons le travail de Mme Jean à la tête de la Francophon­ie, notamment en ce qui a trait à l’éducation des filles et à l’émancipati­on des femmes. Pour ce qui est du poste de secrétaire général, le Canada est prêt à se rallier au consensus, comme le veut la façon de faire en Francophon­ie », a laissé tomber l’attaché de presse de Mélanie Joly, Jeremy Ghio.

Le Québec, à l’instar du gouverneme­nt fédéral, se rallie à la candidatur­e rwandaise

Dans sa famille, on se raconte cette histoire de mère en fille et de père en fils pour préserver la mémoire du premier génocide du XXe siècle qui raya de la carte un million et demi d’Arméniens assassinés ou morts en déportatio­n. Les autres se dispersère­nt à travers le monde. C’est pourquoi, aujourd’hui encore, 70% des Arméniens vivent hors d’Arménie.

Nul doute qu’en accueillan­t le XVIIe Sommet de la Francophon­ie cette semaine, l’Arménie cherchera à faire avancer la reconnaiss­ance de ce génocide. Un drame sans nom que le Québec fut parmi les premiers à reconnaîtr­e, dès 1980 sous le gouverneme­nt de René Lévesque. La France le fit en 2001 et le Canada en 2004 (mais sans en préciser l’auteur).

« Avant de mourir, à 93 ans, ma grand-mère a rassemblé dans un album toutes les photos qu’elle avait sur ces événements et elle nous l’a remis, pour qu’on se souvienne », dit Tatevik. C’est un peu à la mémoire de son grand-père qu’elle a entrepris en 2011 de rencontrer les derniers réfugiés encore vivants en Arménie. La plupart étaient centenaire­s ou presque. En deux ans, elle a ainsi brossé 34 portraits publiés pour la plupart par l’agence de presse nationale Armenpress. « On voulait juste ajouter notre petite contributi­on à cette histoire immense », ditelle. Sillonnant le pays, elle a rencontré des vieillards aujourd’hui décédés mais dont la mémoire était toujours vive. « Certains avaient des souvenirs d’enfance, d’autres, trop petits, s’étaient fait raconter les événements. La plupart pleuraient en parlant de cette époque. »

L’impossible réconcilia­tion

« La mémoire du génocide, ici en Arménie, c’est une affaire quotidienn­e qui touche tout le monde », dit Harutyun Marutyan qui dirige depuis peu le Mémorial du génocide arménien, Tsitsernak­aberd (le « fort aux hirondelle­s »), qui domine la ville. Tous les 24 avril, des centaines de milliers d’Arméniens se rassemblen­t autour de cette gigantesqu­e flèche de béton qui domine la ville. La nuit, des jeunes viennent avec des flambeaux veiller les morts en contemplan­t le sommet enneigé du mont Ararat aujourd’hui en Turquie, mais qui fut le coeur de l’Arménie historique. C’est là, dit La Genèse, que Noé se serait échoué avec son arche. Ironiqueme­nt, en turc, Ararat se dit « montagne de la souffrance ».

« Cette souffrance durera tant que ce drame ne sera pas reconnu, dit Marutyan. Aujourd’hui, il n’y a plus guère que l’Iran et quelques petits pays qui nient la Shoah. Le génocide arménien, lui, n’est toujours pas reconnu par de grandes puissances. Or, sans la reconnaiss­ance, il ne peut y avoir de réconci- liation. Si on nous dit qu’il ne s’est rien passé, alors comment pouvons-nous nous demander ce qu’il faut retenir ou oublier de ces événements afin d’apaiser la mémoire ? On ne peut même pas poser la question. »

Malgré l’accumulati­on des preuves, le génocide arménien n’a toujours pas été reconnu par des pays aussi importants que le Royaume-Uni. Même Barack Obama n’a jamais prononcé le mot malgré une résolution du Congrès en ce sens.

«Aujourd’hui, on a tous les documents pour prouver l’organisati­on systématiq­ue de ce génocide », dit-il. On pense notamment aux travaux titanesque­s de l’historien turc Taner Akçam de l’Université Clark, dans le Massachuse­tts, qui a décodé des câbles secrets du gouverneme­nt turc dans lesquels il est question d’« annihiler tous les Arméniens ». Mais on ne se met pas à dos un membre de l’OTAN aussi important que la Turquie, où la seule utilisatio­n du mot « génocide » est passible de prison.

Ceux qui ont résisté

Après avoir consacré l’essentiel de sa carrière à cette question, Harutyun Marutyan estime qu’il est néanmoins temps d’avoir une vision moins misérabili­ste de ces événements. Est-ce parce que sa famille vient de Van, où les Arméniens opposèrent une véritable résistance aux soldats de l’Empire ottoman ? Avant l’exterminat­ion des 192 000 Arméniens de la ville de Van, dit-il, sa grand-mère aidait les résistants à recharger leurs fusils en récupérant les balles.

Toujours est-il que l’anthropolo­gue voudrait « que l’on mette enfin l’accent sur ceux qui ont résisté et qui se sont battus. Il faut sortir de la victimisat­ion. Je sais qu’il y a beaucoup de jeunes qui hésitent à venir manifester le 24 avril car ils ne veulent pas s’identifier à des descendant­s de fusillés ».

En 1920 lorsqu’il retourna à Constantin­ople occupée par les Alliés, le poète Gostan Zarian, qui écrivait en français et en russe et avait côtoyé Lénine, Apollinair­e et Picasso avant d’être traité de contre-révolution­naire et de nationalis­te arménien, eut ces mots : « Ce que nous avons perdu est si immense que c’est un sujet sur lequel il est impossible de ne rien écrire. Nos hiers sont pleins de sang et de feu, nos aujourd’hui d’incertitud­e, nos lendemains restent enveloppés de mystère. »

Même si, en 2017, on estimait que seulement 18 survivants du génocide étaient toujours vivants en Arménie, cette page ne semble toujours pas tournée, déplore Marutyan. Presque un siècle plus tard, Tatevik Grigoryan, elle, veut écrire l’histoire de sa famille. Une façon peut-être de laisser quelque chose au petit dont elle accouchera en décembre, reconnaît-elle. « Ce sera la cinquième génération après le drame. C’est peut-être juste une goutte d’eau, mais ce sera la mienne. »

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KAREN MINASYAN AGENCE FRANCE-PRESSE La présidente sortante de l’Organisati­on internatio­nale de la Francophon­ie espérait obtenir un deuxième mandat.
 ?? KAREN MINASYAN AGENCE FRANCE-PRESSE ?? Le mont Ararat aujourd’hui en Turquie, mais qui fut le coeur de l’Arménie historique.
KAREN MINASYAN AGENCE FRANCE-PRESSE Le mont Ararat aujourd’hui en Turquie, mais qui fut le coeur de l’Arménie historique.

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