Le Devoir

Okinum, un barrage contre le maléfique

Avec Okinum, Émilie Monnet trouve la guérison en renouant avec sa lignée

- CHRISTIAN SAINT-PIERRE COLLABORAT­EUR

Émilie Monnet entreprend sa résidence au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui en faisant de la salle JeanClaude-Germain un réceptacle, un collecteur d’images et de sons, de langues et de chants, d’épouvantes et de rêves. Solo de 70 minutes, Okinum — qui signifie « barrage » en langue anichinabé­mowin — est une experience immersive, un vaste rituel de guérison, une cérémonie en quatre temps, comme les saisons et les points cardinaux, un périple où se répondent les êtres, les époques et les dépossessi­ons.

Née de mère anichinabé­e et de père français, Émilie Monnet considère les rêves comme des « cadeaux de l’invisible » qui « permettent d’affiner l’intuition»: «C’est le langage qui permet aux ancêtres de communique­r avec nous. » Ainsi, à partir d’un rêve récurrent mettant en scène un castor géant, la créatrice entreprend une réflexion identitair­e sur la notion de barrage, à la fois entrave et rempart; une courageuse remontée de ses origines qui servira en quelque sorte d’assise à un combat tout aussi déterminé contre le cancer de la gorge. « On sait où on va, quand on sait d’où on vient. »

Au centre de la salle, sur une petite scène surélevée, un pentagone entouré d’écrans et de spectateur­s, recouvert de peaux de castor et d’écorces de bouleau, Monnet défend son texte avec toute la conviction nécessaire, empruntant avec doigté, dans un riche dialogue avec l’environnem­ent sonore de Jackie Gallant et les éclairages de Lucie Bazzo, les registres les plus divers. De l’angoisse suscitée par l’éblouissan­te froideur de l’hôpital à la colère déclenchée par l’interminab­le génocide culturel des Autochtone­s, des tableaux oniriques aux segments plus didactique­s, la créatrice, qui cosigne la mise en scène avec Emma Tibaldo et Sarah Williams, atteint toujours l’équilibre, n’abandonne jamais le fil de son récit.

Intime et collectif, nature et culture, passé et présent, ville et forêt, mythologie et technologi­e… des nombreux sujets qui sont abordés, des multiples symboles qui sont conviés, pas un seul ne l’est en vain. Le spectacle nous entraîne aisément des profondeur­s de la terre à l’immensité du ciel étoilé, des travaux éternels des castors à ceux d’Hydro-Québec. Impossible de ne pas s’émouvoir devant pareille entreprise de réappropri­ation culturelle, réconcilia­tion du corps et de l’esprit où la créatrice retrouve les chants et les mots de son arrière-arrière-grand-mère, renoue avec cette extraordin­aire cosmogonie qui a bien failli lui échapper, tout comme à nous.

C’est le langage qui permet » aux ancêtres de communique­r avec nous ÉMILIE MONNET

Okinum

Texte, co-mise en scène et interpréta­tion: Émilie Monnet. Une création des Production­s Onishka. À la salle JeanClaude-Germain du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui jusqu’au 20 octobre.

 ?? VALÉRIE REMISE ?? Au centre de la salle, sur une petite scène surélevée, un pentagone entouré d’écrans et de spectateur­s, recouvert de peaux de castor et d’écorces de bouleau, Monnet défend son texte avec toute la conviction nécessaire.
VALÉRIE REMISE Au centre de la salle, sur une petite scène surélevée, un pentagone entouré d’écrans et de spectateur­s, recouvert de peaux de castor et d’écorces de bouleau, Monnet défend son texte avec toute la conviction nécessaire.

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