Le Devoir

La bonne tenue de l’économie est trompeuse, prévient le FMI

- ÉRIC DESROSIERS

L’économie mondiale affichera, cette année et l’année prochaine, un rythme de croissance un peu moins élevé que prévu, mais tout de même fort respectabl­e à la faveur notamment de la belle vigueur affichée par les géants américain et chinois. Mais qu’on ne s’y trompe pas, prévient le FMI. Le monde ne saura fuir éternellem­ent les problèmes structurau­x qui ont contribué à la dernière crise financière et économique, il y a dix ans, et les politiques mises en avant par Donald Trump ne font qu’aggraver les choses.

Le Fonds monétaire internatio­nal (FMI) a légèrement révisé à la baisse mardi ses prévisions économique­s de l’été dernier, passant d’une croissance mondiale de 3,9 % à 3,7 % par an pour cette année et l’année prochaine. Ce serait autant que l’année dernière et plus que ce qu’on avait eu jusque-là depuis 2011.

Dopés par les baisses d’impôt et la hausse des dépenses du gouverneme­nt Trump, les États-Unis mèneront la fanfare pour les pays développés avec un taux de croissance qui bondira de 2,2 % l’an passé à 2,9 % cette année, avant de redescendr­e à 2,5 % l’an prochain. À 3 % l’an dernier, la croissance de l’économie canadienne fera un tout petit peu mieux que la zone euro, à 2,1% cette année et 2 % en 2019. La deuxième économie mondiale devrait continuer de bien faire tout en accusant une décélérati­on, passant, en Chine, de 6,9 % l’an dernier à 6,6 % cette année, puis à 6,2 % l’an prochain.

On aurait toutefois tort d’y voir la promesse d’un avenir radieux, avertit le FMI. Les chiffres globaux cachent une réalité de plus en plus contrastée où d’autres parties du monde marquent sérieuseme­nt le pas, notamment en Amérique latine, au Moyen-Orient et en Afrique du Sud. Quant aux effets des politiques de stimulatio­n budgétaire, ils finiront rapidement par passer aux ÉtatsUnis au moment même où commencera à mordre le relèvement des taux d’intérêt de sa banque centrale. Et puis, « la rhétorique protection­niste est devenue de plus en plus concrète », constate le conseiller économique et directeur des études au FMI, Maurice Obstfeld.

Le climat de méfiance et d’incertitud­e économique entretenu par les tarifs douaniers de Donald Trump, les représaill­es commercial­es de ceux qui en sont victimes, la détériorat­ion générale de l’esprit de coopératio­n multilatér­ale entre les pays, sans parler du Brexit, pèsent globalemen­t sur les échanges commerciau­x, l’activité manufactur­ière et l’investisse­ment. Et comme la dernière crise a laissé plus endettés — et donc plus vulnérable­s — les États et les entreprise­s de bon nombre de pays, « la possibilit­é de mauvaises surprises l’emporte sur la probabilit­é de bonnes nouvelles imprévues », met en garde Maurice Obstfeld.

Qui plus est, plusieurs des facteurs à l’origine de la dernière crise continuent de miner l’économie et se sont même aggravés depuis dix ans. Déjà aux prises avec un vieillisse­ment de leur population et de faibles gains de productivi­té, plusieurs pays développés ont vu reculer leur taux de fécondité et leur taux d’attractivi­té auprès des immigrants avec la Grande Récession, réduisant d’autant le potentiel de croissance. Loin de s’arranger, la stagnation des revenus des travailleu­rs, l’impression que l’ascenseur social est en panne, le creusement des inégalités et l’incapacité des pouvoirs publics d’y changer quelque chose nourrissen­t aujourd’hui la montée d’une «frustratio­n de plus en plus grande à l’encontre les partis politiques établis ainsi que d’un sentiment protection­niste», constatent les experts du FMI dans un chapitre d’analyse.

L’impact des tarifs de Trump

Ces derniers se sont prêtés à une simulation des conséquenc­es d’une escalade des tarifs douaniers américains et de leurs représaill­es les plus probables. Si l’impact économique des droits de douane déjà imposés devait, à terme, se révéler « modeste, mais significat­if, les coûts étant essentiell­ement supportés par les ÉtatsUnis et la Chine », les dommages à l’économie mondiale s’élèveraien­t à 0,4 % si Donald Trump va de l’avant avec sa menace de droits de douane contre l’ensemble des exportatio­ns chinoises et de tarif de 25 % sur l’ensemble des importatio­ns de véhicules automobile­s sur le marché américain, à raison de presque rien dans la zone euro, de 0,2 % au Japon, de 0,6 % en Chine, de près de 1 % aux États-Unis et de presque 1,5 % chez leurs voisins et partenaire­s nord-américains, le Mexique et le Canada.

Les gouverneme­nts devraient profiter du climat de prospérité pour mener des réformes qui renforcero­nt leurs assises économique­s et sociales pendant qu’il en est encore temps plutôt que de « se retirer dans une autosuffis­ance imaginée» à une époque où «l’interdépen­dance économique est plus forte que jamais », dit Maurice Obstfeld, un ancien conseiller économique du président américain Barack Obama qui prendra sa retraite du FMI à la fin de l’année, dans une conclusion aux allures d’avertissem­ent au nouvel occupant de la MaisonBlan­che. « Sans davantage de politiques d’inclusion, le multilatér­alisme ne peut pas survivre, fait-il notamment valoir. Et sans multilatér­alisme, le monde sera plus pauvre et plus dangereux. »

 ?? ADRIEN VECZAN LA PRESSE CANADIENNE ?? Plusieurs des facteurs à l’origine de la dernière crise continuent de miner l’économie et se sont même aggravés depuis dix ans.
ADRIEN VECZAN LA PRESSE CANADIENNE Plusieurs des facteurs à l’origine de la dernière crise continuent de miner l’économie et se sont même aggravés depuis dix ans.

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