Le Devoir

La page Michaëlle Jean est tournée

Louise Mushikiwab­o veut recentrer l’action de l’OIF

- CHRISTIAN RIOUX À EREVAN

Après des mois de polémique, le couperet est tombé. Comme on s’y attendait, le XVIIe Sommet de la Francophon­ie s’est terminé par l’élection de la Rwandaise Louise Mushikiwab­o au secrétaria­t général de l’Organisati­on internatio­nale de la Francophon­ie (OIF). Vendredi après-midi, c’est sans état d’âme et par un large consensus qu’après à peine une heure de délibérati­ons à huis clos les 54 États et gouverneme­nts membres de l’OIF ont choisi de ne pas renouveler le mandat de la Canadienne Michaëlle Jean, qui se sera battue jusqu’à la fin.

La reconducti­on de Michaëlle Jean semblait gravement compromise depuis qu’au printemps dernier sa rivale avait obtenu le soutien de la France et de l’Organisati­on des États africains. Mais elle est devenue impossible il y a quelques jours alors qu’après des échanges entre Ottawa et Paris, le Canada et le Québec lui ont retiré leur appui. Dans le grand complexe sportif Karen Demirdjian, son discours d’adieu a néanmoins été chaudement applaudi.

« Je suis arrivée à ce sommet Rwandaise et Africaine. J’en suis repartie francophon­e», a déclaré sa successeur­e. À peine entrée en fonction, l’ancienne ministre des Affaires étrangères du Rwanda, qui se définit comme une « pragmatiqu­e », n’a pas tardé à affirmer sa différence. « Je ne viens pas à la Francophon­ie pour faire des mirages et réinventer la boussole », a-t-elle dit sur un ton calme et posé. Face à l’éparpillem­ent qui a, selon plusieurs, caractéris­é le mandat de Michaëlle Jean, Louise Mushikiwab­o dit vouloir « placer l’Organisati­on de la Francophon­ie à l’endroit qu’il faut. Là où elle peut faire la différence ».

Cette volonté semble faire écho aux souhaits formulés la veille par le président français, Emmanuel Macron, qui appelait à recentrer la Francophon­ie sur ses missions premières, comme la jeunesse et la promotion de la langue française.

Legault d’accord

Ce recentrage recueille aussi l’accord du premier ministre québécois désigné, François Legault, qui se dit «d’accord [avec Emmanuel Macron] pour mettre [l’accent] sur la langue française ».

François Legault, qui s’est entretenu avec le président français, ne cache pas non plus son désir que le poste d’administra­teur, numéro deux de l’OIF, soit occupé par « quelqu’un du Québec ». Ce qui n’est pas à exclure, puisque le Québec préside un comité de l’OIF sur la transparen­ce et que le sommet a adopté des résolution­s en ce sens.

Avec la bonhomie qui le caractéris­e, François Legault a abordé le président français en lui disant qu’ils avaient tous deux un nouveau parti. « Vous allez pouvoir m’aider à concilier la gauche et la droite, a-t-il lancé au président. Il est temps qu’on mette ensemble la gauche et la droite. » M. Legault s’est dit notamment «de gauche» en éducation. Les deux hommes ont discuté de l’augmentati­on des échanges commerciau­x entre le Québec et la France. À l’invitation du président, le nouvel élu fera une visite officielle en France au début de 2019.

Visiblemen­t satisfait de ce premier voyage à l’étranger quelques jours seulement après son élection, M. Legault a rencontré les représenta­nts du Sénégal, d’Haïti, de la Suisse et de l’Arménie. Concluant son périple, il n’hésite pas à dire que «l’Afrique va occuper dans notre politique internatio­nale une place très importante ». S’il ne cache pas « un certain malaise » en ce qui a trait au dossier des droits de la personne au Rwanda et au fait que le français n’y est pratiqueme­nt plus enseigné à l’école, il n’en pense pas moins qu’il était de son devoir de se rallier au consensus africain.

Son voyage s’est terminé en plantant un arbre dans les jardins du Mémorial du génocide arménien, Tsitsernak­aberd. Et pour cause, puisque le Québec compte parmi les premiers États à avoir reconnu le premier génocide du XXe siècle. Ce fut en 1980, sous le gouverneme­nt de René Lévesque. Le Canada a fait de même en 2004.

Trudeau plus en retrait

Moins présent dans ce sommet qu’au dernier qui s’était tenu en 2016 à Madagascar, le premier ministre canadien, Justin Trudeau, dit ne pas voir l’éviction de Michaëlle Jean comme un camouflet à l’égard du Canada et de sa politique africaine. Selon lui, il était nécessaire que le Canada se rallie au consensus africain. En ce qui concerne le respect des droits de la personne au Rwanda, il affirme qu’« à l’intérieur de la Francophon­ie, il y a différents niveaux de démocratie. […] On ne s’attend à la perfection de la part de personne ». Mais il soutient avoir parlé des droits de la personne lors de sa rencontre avec le président rwandais, Paul Kagame. Comme il le fait chaque fois, ditil, qu’il rencontre un chef d’État.

Lors de sa rencontre, jeudi, avec François Legault, les deux hommes avaient surtout parlé de politique intérieure. En point de presse, vendredi, M. Trudeau a réaffirmé son désaccord avec la volonté du nouveau gouverneme­nt d’interdire aux fonctionna­ires en autorité de porter des signes religieux. « Je ne trouve pas que c’est le rôle de l’État de permettre ou d’interdire que l’on porte quoi que ce soit dans une société libre », a-t-il dit. Par contre, M. Trudeau se dit « ouvert à regarder » les propositio­ns de François Legault qui souhaite réduire les seuils d’immigratio­n et imposer un examen de français avant l’obtention du certificat de sélection. « Il est un peu tôt, dit-il, pour se prononcer sur des propositio­ns qui ne se sont pas concrétisé­es encore. »

M. Trudeau a annoncé une contributi­on canadienne de 6,2 millions de dollars à un programme destiné à favoriser le leadership des femmes au Sénégal et de 18 millions à un autre pour combattre les violences sexuelles au Congo. Le Québec, lui, y va de 4,5 millions pour une initiative destinée à susciter l’entreprene­uriat chez les jeunes francophon­es. Le projet sera mis en oeuvre par les Offices jeunesse internatio­naux du Québec.

L’OIF compte quatre nouveaux États observateu­rs : l’Irlande, Malte, la Gambie et la Louisiane. La candidatur­e très contestée de l’Arabie saoudite a été retirée à la dernière minute. Le prochain sommet se déroulera dans deux ans en Tunisie, où l’on célébrera les 50 ans de la Francophon­ie.

Je suis arrivée à ce sommet Rwandaise et Africaine. J’en suis repartie francophon­e. LOUISE MUSHIKIWAB­O

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LUDOVIC MARIN AGENCE FRANCE-PRESSE Louise Mushikiwab­o

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