Le Devoir

Le monde selon François Legault

- mdavid@ledevoir.com

Le sommet d’Erevan a suivi l’élection de trop près pour permettre de se faire une idée du comporteme­nt que le nouveau premier ministre du Québec adoptera au sein de la Francophon­ie, notamment dans les relations avec la France, et sur la scène internatio­nale en général. Il est clair que l’économie sera sa grande priorité, mais saura-t-il aller au-delà ? Le « Nouveau projet pour les nationalis­tes » que François Legault avait présenté en 2015 promettait qu’un gouverneme­nt caquiste jouerait « un rôle actif en matière de relations intergouve­rnementale­s canadienne­s », notamment qu’il réclamerai­t de nouveaux pouvoirs, mais il était muet sur les relations internatio­nales.

Il est vrai que ce document se voulait une profession de foi dans la fédération canadienne. S’aventurer sur un terrain que le gouverneme­nt canadien considère comme sa chasse gardée aurait affaibli le message. Du reste, on n’a jamais noté chez M. Legault un quelconque intérêt pour la politique internatio­nale. Qu’il ait tenu à se rendre en Arménie même s’il n’est pas encore entré officielle­ment en fonction est néanmoins un signe positif.

M. Legault reprendra-t-il le flambeau ou se contentera-t-il de faire du tourisme ?

Au cours du dernier demi-siècle, les gouverneme­nts québécois successifs se sont employés, avec une énergie variable, à élargir la brèche créée dans les années 1960. Dans son célèbre discours prononcé en 1965, Paul Gérin-Lajoie, alors vice-premier ministre dans le gouverneme­nt Lesage, avait déclaré qu’il revenait au Québec d’assumer sur le plan internatio­nal « le prolongeme­nt de ses compétence­s internes ».

La suite des choses a cependant démontré que cette doctrine était plus facile à énoncer qu’à appliquer. L’affirmatio­n de la personnali­té internatio­nale du Québec a pris dès le départ l’allure d’une guérilla, Ottawa lui mettant sans cesse des bâtons dans les roues. M. Legault reprendra-t-il le flambeau ou se contentera-t-il de faire du tourisme ?

Le premier objectif de la politique que la ministre Christine St-Pierre a publiée l’an dernier était de « rendre les Québécois plus prospères ». À ce chapitre, il ne fait aucun doute que le nouveau gouverneme­nt s’inscrira dans la continuité.

Son adhésion au deuxième objectif, soit « contribuer à un monde plus durable », est moins évidente. À en juger par le programme de la CAQ, il pourra difficilem­ent prétendre jouer un rôle de leader dans la lutte contre les changement­s climatique­s, quoique l’exemple de Justin Trudeau démontre bien qu’il n’est pas nécessaire de passer de la parole aux actes. M. Legault n’est pas le xénophobe décrit par la presse française, mais il aura également du mal à se présenter en champion de la solidarité internatio­nale et de l’accueil des réfugiés.

Le troisième objectif de la politique libérale était de « promouvoir la créativité, la culture, le savoir et la spécificit­é du Québec ». Se poser en défenseur du français dans le monde tenait presque de la fumisterie, compte tenu du laisser-faire linguistiq­ue du gouverneme­nt Couillard au Québec même. Il ne devrait pas être trop difficile de faire mieux.

Le message tient souvent dans le messager. Le choix de celui ou celle à qui M. Legault décidera de confier les Relations internatio­nales donnera une indication du ton qu’il entend leur donner.

Les premiers ministres péquistes avaient choisi des personnali­tés dérangeant­es en Bernard Landry, Louise Beaudoin et Jean-François Lisée. Certes, la chicane avec le gouverneme­nt fédéral s’inscrivait dans une stratégie de promotion de la souveraine­té, mais le Québec n’en réussissai­t pas moins à faire entendre une voix distincte.

Dans son célèbre discours prononcé en 1965, Paul Gérin-Lajoie, alors vice-premier ministre dans le gouverneme­nt Lesage, avait déclaré qu’il revenait au Québec d’assumer sur le plan internatio­nal « le prolongeme­nt de ses compétence­s internes »

Jean Charest avait désigné Monique Gagnon-Tremblay, une femme nettement plus effacée, canadienne d’abord et avant tout, qui donnait parfois l’impression d’oeuvrer au niveau fédéral. Son successeur, Pierre Arcand, n’était pas davantage un homme d’affronteme­nt.

Il est vrai qu’à partir du moment où les Québécois ont décidé de demeurer au sein du Canada, ils se sont euxmêmes condamnés à l’insignifia­nce internatio­nale. Pendant trente ans, c’est essentiell­ement l’appui de la France qui a permis au Québec d’échapper partiellem­ent à la tutelle fédérale.

Malgré la sympathie que le projet souveraini­ste pouvait lui inspirer, il lui a bien fallu prendre acte du résultat du référendum de 1995. Pendant des années, elle n’avait pas hésité à mécontente­r son allié canadien, mais elle ne pouvait tout de même pas accompagne­r le Québec là où il ne voulait pas aller.

S’il n’a pas la brutalité de Nicolas Sarkozy, qui associait la souveraine­té à du sectarisme, Emmanuel Macron n’en est assurément pas un partisan, et le projet autonomist­e de M. Legault ne le séduira sans doute pas davantage. Il a liquidé Michaëlle Jean pour favoriser les intérêts de la France en Afrique, mais il ne se brouillera sûrement pas avec Justin Trudeau pour servir ceux d’une simple province.

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