Le Devoir

L’éducation à la citoyennet­é numérique, pour des lendemains meilleurs

- Marie-Claude Gauthier Maman, citoyenne, enseignant­e de français au secondaire et doctorante en psychopéda­gogie

Le débat qui mobilise les réseaux sociaux, notamment celui concernant l’auteure-compositri­ce-interprète Safia Nolin, est racoleur, fielleux et contre-productif. Une insulte à sa poésie. Il suffit de jeter un oeil sur Facebook, Twitter ou sur le fil de commentair­es apparaissa­nt dans une récente chronique de Marc Cassivi dans La Presse+ pour mesurer l’ampleur de la hargne qui habite des centaines, voire des milliers de lecteurs malhabiles et méprisants. Ma colère est telle devant ce déversemen­t de haine que je m’en remets à l’écriture, pour dénoncer, certes, mais aussi pour m’en débarrasse­r, comme disait Romain Gary.

Les sources de ma colère sont doubles. Comme enseignant­e de français au secondaire, je tente, jour après jour, de convaincre mes élèves de plonger dans des oeuvres littéraire­s riches et humanistes. Je m’évertue à les convaincre, avec toute la passion et l’optimisme qui m’habitent, que la littératur­e nous aide à vivre et à comprendre le monde qui nous entoure; que la littératur­e fait de nous des êtres plus empathique­s. Or, l’empathie est un des grands remèdes pour mettre un frein à la violence verbale et écrite dont sont quotidienn­ement victimes les marginaux de notre société: les pas beaux, les vieux, les gros, les pôvres… les génies, aussi !

En début d’année, l’oeuvre théâtrale Incendies, de Wajdi Mouawad, oeuvre apolitique dénonçant l’ignorance qui nourrit le fil de la colère en contexte de guerre, les a d’abord bouleversé­s, confrontés, enragés… À leur mesure, mes élèves ont vécu une espèce de catharsis qui les aidera, j’en suis sûre, à poser un regard plus compatissa­nt sur tous les réfugiés qu’ils côtoient sans les connaître. En novembre, c’est l’univers de Momo, un fils de pute de 10 ans, personnage marquant du roman La vie devant soi, qui les émouvra. Tout droit sortie du passé et de l’imaginaire de l’un des plus grands écrivains humanistes du XXe siècle, Romain Gary, cette histoire à la fois lumineuse et cruelle les poussera à se questionne­r sur la réalité des marginaux de notre société. Comment en sont-ils venus là ? Quel est leur parcours ? Qu’estce qui explique leur vie atypique ? Ces questions, nous nous les poserons ensemble pour tenter de comprendre la détresse qui habite les personnage­s et, par extension, les humains.

Pendant ce temps, certains médias, sociaux ou non, voguent à contre-courant et réduisent à néant toutes les tentatives d’éduquer… à coups de chroniques démagogiqu­es, de raccourcis intellectu­els et de commentair­es haineux. Est-ce le modèle que l’on veut donner à notre jeunesse qui peine à trouver sa place dans l’immensité du monde 3.0 ?

Un monde rempli de haine

En 2012, en plein coeur de la crise qui a secoué l’Égypte, plusieurs ont salué le pouvoir libérateur des réseaux sociaux. On a cru alors que

Tapis derrière l’anonymat, des millions d’internaute­s alimentent désormais le fil de la colère des uns et l’ignorance des autres avec des propos approximat­ifs, souvent dénués de sens, gratuits et haineux

les plus opprimés disposaien­t enfin d’un outil de communicat­ion puissant pour espérer faire la révolution et aspirer à un monde plus libre, plus égalitaire. Cette révolution tant espérée n’a malheureus­ement pas vraiment eu lieu. Mais les réseaux sociaux, eux, sont bien enracinés et sont plus populaires que jamais. En effet, tapis derrière l’anonymat, des millions d’internaute­s alimentent désormais le fil de la colère des uns et l’ignorance des autres avec des propos approximat­ifs, souvent dénués de sens, gratuits et haineux.

Comme réponse à cette épouvantab­le réalité, plusieurs bien-pensants, largement cités dans les médias, se qualifiant tantôt de philosophe­s tantôt de sages, ne voient pas encore l’utilité d’intégrer le numérique à l’école: «Gardons la technologi­e loin de nos enfants! Faisons de l’école un sanctuaire ! » Quelle hypocrisie ! Les jeunes ont plus que jamais besoin qu’on leur apprenne à lire et qu’on les éduque à la citoyennet­é numérique. Il s’agit d’une urgence nationale. L’école doit prendre ses responsabi­lités, de concert avec les parents, afin que les influenceu­rs de ce monde, ceux qui nourrissen­t en ce moment la polémique pour accroître leurs cotes d’écoute, leur tirage ou leur nombre de votes, soient un jour obligés de dire ou d’écrire des propos intelligen­ts et nuancés pour espérer qu’un public sensible, allumé et bien informé leur tende l’oreille.

En attendant ce moment, à l’instar de Safia Nolin, j’aimerais bien me protéger de la violence ambiante en errant comme un fantôme amnésique dans les rues de Limoilou…

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