Le Devoir

Ariane Moffatt

Petites mains précieuses, l’album à vif d’une chan- teuse qui n’a rien à cacher.

- PHILIPPE PAPINEAU

C’est un peu la faute à George, tout ça. En arrivant au monde un peu trop tôt et de manière plus complexe que prévu, le petit troisième d’Ariane Moffatt a fait jaillir quelque chose dans le coeur et dans la tête de la chanteuse. Comme une urgence, un courant électrique qui a alimenté la création — cette fois plus simple — d’un paquet de chansons.

Ce sixième disque d’Ariane Moffatt, intitulé Petites mains précieuses, montre la musicienne sous des facettes parfois sombres, très personnell­es, mais en même temps plus universell­es, estime-t-elle.

«Après la naissance, en néo-nat, j’apportais mon petit cahier rouge», raconte Moffatt, entourée de ses instrument­s dans son studio du MileEnd montréalai­s. «Ç’a été une forme de reprise de contact avec moi, une forme d’arrêt, de call de la vie qui m’a reconnecté­e avec mon essence. Ç’a donné un disque qui ne digère pas nécessaire­ment la maternité, mais où ce n’était pas grave d’aller

n’importe où en moi, même dans des émotions plus sombres. »

Il y a en effet beaucoup d’âme et de vérité dans ces dix nouvelles pièces aux allures de «vraies» chansons. Plus que dans le précédent 22h22 , où les ambiances dominaient, où il y avait plus de filtres ou de codes dans la poésie, de l’aveu même de la chanteuse.

Dès les premiers mots de Petites mains précieuses, il y a le couple en désarroi. Puis suivent les désillusio­ns, la détresse psychologi­que, des idées noires, une certaine fatalité, mais avec un peu partout une petite flamme encore en vie, qui vacille mais que l’on cultive.

Les mains du titre, c’est «ce qui nous relie», dit Ariane Moffatt. Ce sont celles sur un téléphone — «une fenêtre trop étroite pour deux» —, celles qui se disent adieu, qui brisent la statue des agresseurs ou même qui se déposent «contre le sexe trop longtemps désiré ». Mains multiples, mains baladeuses, mains tendues.

«Est-ce qu’on peut célébrer l’intime, le lien à l’autre, le contact, la chaleur organique, la recherche de l’autre? lance-t-elle. Je voulais ramener ça à quelque chose de plus humain, comme si c’était peut-être la dernière fois que je pouvais m’exprimer ainsi. Finalement, aujourd’hui, on fait juste se regarder soi-même, dans ses propres algorithme­s, dans un monde de plus en plus refermé autour de soi, autour de ce qu’on devine qu’on est, dans ces calculs mathématiq­ues. C’est aliénant. Alors que l’autre, il est là, il est important, surtout dans une période de vie familiale avec trois enfants. Il n’y a rien de plus tangible et concret.»

Des chansons à protéger

Pour Petites mains précieuses, Ariane Moffatt avait aussi la volonté de ne pas s’enfermer dans un concept en amont, ce qui a toujours été un réflexe pour elle. Les cadres l’ont toujours rassurée, dirigée.

«C’est Marie-Pierre Arthur qui, sans malice, m’avait lancé un commentair­e du genre: “Eille, t’aimes ça, toi, les concepts!” C’était vrai, mais ç’a m’avait piquée! Et je me suis demandé ce que ça donnerait si j’enlevais cette boîte-là.»

Moffatt a donc laissé naître une à une ses chansons, en s’assurant «que dans la compositio­n [elle] ne tombai[t] pas tout de suite dans les bébelles et les beats ».

C’est beaucoup au piano que sont nés ces nouveaux morceaux, qui ont ensuite été joués en sessions de groupe en studio avec le bassiste Philippe Brault — aussi coréalisat­eur —, le guitariste Joseph Marchand, le claviérist­e Alex McMahon et le batteur José Major.

«On a fait faire des partitions de tout ce que j’avais fait avec les maquettes, pour qu’on parte des structures, précise la chanteuse de 39 ans. Parce que, des fois, tu travailles six mois dans ton studio puis, avec les musiciens, les pièces deviennent complèteme­nt autre chose. Oui, c’est excitant sur le coup, parce que c’est nouveau, mais j’avais cette peur de perdre la fragilité de mes versions. Finalement, ç’a été une danse pour conserver ça.»

Du néo-soul

Sans être une copie du son du moment, Petites mains précieuses offre une expérience à la fois électroniq­ue et soul. Les textures du disque sont vite montées à la surface, dès l’écriture de la première pièce du disque, Du souffle pour deux. Du fond chaleureux, humain et intime est né le son qu’Ariane Moffatt qualifie de «néoseventi­es », de slow funk et de soul.

« Mais il y a beaucoup de “néo”, précise Moffatt. Il fallait me réappropri­er ça après, pour que ce ne soit pas un pastiche d’époque. Il y a une touche plus contempora­ine, plus personnell­e.» Quelque part, les années 1990 viennent jouer du coude avec les années 1970, dans une signature d’aujourd’hui. Ici, même les décennies se tendent la main.

«Vite, vite, l’image que j’avais en tête c’était un feu avec une boule disco qui tourne lentement, confie-telle. Et cette image de l’album que tu mets quand t’as peut-être pris la petite bouteille de vin de trop à la fin du souper avec des proches. On peut dire que l’album cadre pas mal bien dans ce décor-là. »

Est-ce qu’on peut célébrer l’intime, le lien à l’autre, le contact, la » chaleur organique, la recherche de l’autre ?

ARIANE MOFFATT

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VALÉRIAN MAZATAUD LE DEVOIR Ce sixième disque d’Ariane Moffatt montre la musicienne sous des facettes parfois sombres, très personnell­es, mais en même temps plus universell­es.
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Petites mains précieuses Ariane Moffatt, Simone Records

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