Le Devoir

Après QUB, le cercle de la webradio peut-il s’élargir ?

L’audio est en vogue, mais l’arrimage à une entreprise existante semble inévitable

- PHILIPPE PAPINEAU

Lancée en grande pompe le 4 octobre lors d’une conférence de presse rassemblan­t quelque 150 personnes, la nouvelle webradio de Québecor, QUB, démarrera ses activités lundi. Est-ce que ce genre de canal de diffusion, pourtant loin d’être nouveau, fera des petits au Québec dans le futur?

En tout cas, l’animateur du matin de QUB, Benoît Dutrizac, n’y est pas allé en demi-teintes lors du lancement de la plateforme. «C’est un projet audacieux; c’est l’avenir de la radio, c’est l’avenir des communicat­ions. Je trouve que c’est l’endroit où il faut être aujourd’hui. […] Désormais, la radio convention­nelle est dépassée. » Elle est quand même déjà loin, l’époque où les internaute­s, grâce au logiciel Realaudio, ont pu commencer à écouter en ligne des radios d’un peu partout dans le monde. Les premiers pas de la diffusion en continu

sur le Web remontent à 1995! Mais désormais, plus de gens ont accès à Internet, et les téléphones mobiles et les applicatio­ns qu’ils contiennen­t ont changé la donne.

«C’est un peu présomptue­ux de dire que c’est une grande innovation», note d’abord Sylvain Lafrance, un ancien patron de Radio-Canada qui est depuis plusieurs années directeur du Pôle médias et management à HEC Montréal. «Ça reste une vieille technologi­e, alors pourquoi maintenant? Le déclencheu­r, c’est clair que c’est la stratégie de convergenc­e, et Québecor vient compléter son tableau. »

Légèreté et réseaux sociaux

Rien de neuf sous le soleil, donc, à proposer une radio Web en continu, sauf que notre rapport au format audio, dans un monde d’écrans, est en train de se réinventer, avec la webradio, mais aussi beaucoup avec la baladodiff­usion.

«L’audio est un moyen efficace pour augmenter la consommati­on de contenu dans cette ère d’écrans omniprésen­ts», résume Catherine Mathys, la nouvelle directrice de veille stratégiqu­e du Fonds des médias du Canada. «Il permet à l’auditeur d’avoir accès à une grande variété de sujets tout en accompliss­ant une autre tâche (en faisant son jogging, la vaisselle ou son ménage, des activités plus difficilem­ent compatible­s avec des écrans). »

La radio Web et les balados, croit Mme Mathys, permettent de développer des offres de programmat­ion nichées. « On y bâtit des auditoires, certes plus petits, mais très fidèles et très engagés envers la chaîne. Il faut dire aussi que les géants de la techno déploient beaucoup d’efforts pour développer des applicatio­ns qui facilitent la découvrabi­lité et la consommati­on des contenus audio. »

Techniquem­ent, il est aussi bien plus facile qu’avant de mettre sur pied une station Web, estime Nadia Seraiocco, doctorante en communicat­ion, chargée de cours à l’UQAM et chroniqueu­se à l’émission Moteur de recherche, sur Radio-Canada Première. « Et c’est plus léger, il y a toute une mécanique qui est connue et facile à exploiter. »

Le rapport à l’écoute en ligne a aussi connu une révolution avec le streaming musical, devenu omniprésen­t. «On voit que les services de streaming sont assimilés dans le grand public, estime Sébastien Charlton, chercheur au Centre d’études sur les médias à l’Université Laval. Et avec les outils de listes de lecture, on peut déjà dire aux services de bâtir une radio et de nous proposer du contenu qu’on ne choisit pas.» Ce qui se rapproche un peu de la webradio en continu, bref.

Toujours dans la colonne des points favorables à l’émergence de nouveaux canaux en ligne, il y a la puissance des réseaux sociaux, dont l’effet de propulsion n’existait pas il y a une dizaine d’années. Facebook et Twitter, entre autres, permettent à du contenu de voyager, à un lien d’écoute de circuler bien plus efficaceme­nt qu’avant.

«Et on sait que le partage de contenu, c’est ce qui ramène des clics sur ton site Web, ou vers tes possession­s Web, souligne Nadia Seraiocco. En plus, il y a une tranche d’âge qui n’écoute plus du tout la radio analogique ou la télé sur téléviseur. Pour ces gens, que le contenu soit véhiculé sur un lien Twitter ou qu’il soit à la radio, c’est un contenu audio quand même et ils vont le capter.»

Plus de clics, plus d’écoute, plus d’argent de la publicité, ajoute-t-elle. Sylvain Lafrance en rajoute: «La radio traditionn­elle ne permet pas le ciblage de l’auditoire, alors que la radio numérique permet de savoir qui écoute, à quelle heure et combien de temps. »

Se noyer

Trouver une fréquence sur la bande FM, c’est plutôt aisé, car la radio traditionn­elle reste essentiell­ement locale ou régionale. Mais en ligne, une webradio se retrouve «dans un marché concurrent­iel qui est immense», rappelle M. Lafrance. « Une radio Web qui ne serait que radio Web aurait beaucoup de difficulté à survivre, car le marché n’est pas grand au Québec. Il faudrait que les radios, ici, fassent des partenaria­ts. Mais ce n’est pas impossible. »

L’avenir de la webradio passerait donc par son arrimage à des entreprise­s existantes, ajoute Nadia Seraiocco, «pour avoir un pouvoir d’amplificat­ion plus grand dans le marché». QUB, par exemple, s’ancre profondéme­nt dans ce que Pierre Karl Péladeau nomme «l’écosystème de Québecor ».

«Quand on parle de découvrabi­lité, celle de Québecor est assez maximale sur le territoire québécois», ajoute Mme Seraiocco, qui donne l’exemple de Mario Dumont qui, à la fin de son émission à TVA, pourrait annoncer une entrevue diffusée sur QUB. «L’hameçon est lancé, la synergie marketing s’opère. T’as la machine optimale pour aller chercher des milliers et des milliers

On y bâtit des auditoires certes plus petits, mais très fidèles et très engagés envers la chaîne. Il faut dire aussi que les géants de la techno déploient beaucoup d’efforts pour développer des applicatio­ns qui facilitent la découvrabi­lité » et la consommati­on des contenus audio.

CATHERINE MATHYS

d’auditeurs. Si tu le fais par toimême, la question de la découvrabi­lité arrive en premier lieu. Tu te fais connaître où? À moins d’avoir une page Facebook avec 10 000 abonnés ou plus, tu vas vraiment patauger. »

Et il ne faut pas faire abstractio­n de la possibilit­é pour les nouvelles radios Web d’être absorbées par les entreprise­s de radio traditionn­elle, souligne Sébastien Charlton, du Centre d’études sur les médias. Il donne l’exemple de Dany «Babu» Bernier, animateur bien connu à Québec, qui a vu son projet de radio en ligne atterrir sur les ondes FM après un petit mois.

« Pour le moment, ajoute M. Charlton, il y a beaucoup d’embûches [pour la radio Web], ne serait-ce que pour la vente de publicité, pour convaincre les annonceurs que c’est la voie de l’avenir, que les gens n’auront pas de difficulté à trouver la façon de syntoniser dans les contextes où ils écoutent la radio d’habitude. »

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ISTOCK Notre rapport au format audio, dans un monde d’écrans, est en train de se réinventer, avec la radio Web, mais aussi beaucoup avec la baladodiff­usion.
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