Nadine Bismuth, fidèle à sa manière avec son 2e roman, Un lien familial.
Son deuxième roman, Un lien familial, est une histoire de couple et de déshonneur féminin
En 1999, à 23 ans, elle faisait une entrée remarquée en littérature avec Les gens fidèles ne font pas les nouvelles, où elle traquait en une douzaine de récits nos petites faiblesses et les mensonges dont on enrobe notre quotidien.
Alors que Scrapbook (2004) se voulait une «parodie d’autofiction» où une jeune écrivaine faisait ses premières armes dans le monde de l’édition québécoise, les nouvelles de Êtesvous mariée à un psychopathe? (2009) nous présentaient le point de vue de femmes célibataires sans enfants.
Aujourd’hui, 20 ans après ses débuts, Nadine Bismuth nous revient avec un deuxième roman. Avec une narration à plusieurs voix, Un lien familial explore avec une certaine finesse les paradoxes, les limites et les ambiguïtés de la vie de famille.
Designer de cuisines haut de gamme de 40 ans, Magalie vit avec Mathieu, un avocat qui est le père de sa fille de cinq ans. Après avoir appris qu’il la trompait, elle le trompe en retour avec Guillaume, policier et père célibataire qui est amoureux d’elle — et qui est aussi le fils du nouveau chum de sa mère. Vous suivez toujours? Et si personne ne tient le beau rôle dans cette galère amoureuse qui prend l’eau, c’est Magalie qui aura à écoper plus que les autres.
L’infidélité, le couple, la maternité. Des chassés-croisés amoureux. Nadine Bismuth, à quelques nuances près, reste fidèle à sa manière.
Malgré tout, l’auteure d’Un lien familial croit être allée au-delà du couple dans ce nouveau roman. En touchant notamment à la maternité et au deuil. «Je l’ai remarqué chez beaucoup d’auteurs et de cinéastes: on renouvelle les situations, mais les thèmes sont souvent les mêmes. On a chacun notre univers. Et pour moi, c’est un thème qui est très inspirant, parce que le couple peut se vivre de toutes sortes de manières», confie l’écrivaine en entrevue.
«Le temps passe, mais on y revient toujours. C’est un thème qui est classique», ajoute cette fervente lectrice des grands romanciers du XIXe siècle (George Eliot, Tolstoï), mais aussi de Jonathan Franzen. L’infidélité demeure pour elle une source inépuisable de situations dramatiques et
d’états psychologiques pour ses personnages. Une réalité qui est souvent à la source de grandes blessures et de traumatismes, et qui à ses yeux n’a rien de banal ou d’anecdotique.
« Mais j’avoue qu’au fil des années, poursuit-elle en riant, je me suis questionnée [sur cette récurrence]. Ce qui me fascine là-dedans, c’est que malgré toutes les révolutions culturelles et sexuelles, les éclatements et les disparitions de modèles, l’infidélité reste une transgression. Et c’est sûr que d’un point de vue romanesque, la transgression et l’interdit sont des territoires qui sont toujours intéressants à explorer», croit Nadine Bismuth.
Entre la passion et l’interdit
«Je trouve aussi que ça met en lumière une expérience qui me semble fascinante: le lien entre la passion et l’interdit. Comme si l’un et l’autre étaient intrinsèquement liés.» Mais au-delà de l’infidélité, il reste que ce qui intéresse vraiment l’écrivaine, ce sont les relations humaines.
Contrairement à ce qui se passait dans Êtes-vous mariée à un psychopathe?, c’est la famille qui impose ici sa structure au sentiment amoureux chaotique. Ce sont deux forces qui sont contraires et qui arrivent difficilement à cohabiter.
Et pour l’un de ses personnages, «l’amour est un phénomène qui, peu importe notre histoire, doit rarement faire des heureux, et fabrique plutôt des dépossédés ». Pour l’écrivaine, Un lien familial est avant tout une histoire de «déshonneur». «Je n’avais pas envie de faire le récit d’une fille qui se sort de sa rupture de manière éclatante et admirable. Ce n’est pas le récit d’une résilience, c’est plus le récit d’une chute. Même si on sait que, peut-être, dans trois ans elle va s’être relevée de tout ça.»
L’écrivaine a elle-même eu une fille depuis la parution de son livre précédent. Mais ne cherchez pas plus loin dans sa réalité. C’est une fiction. Ce qui n’a pas empêché quelqu’un de lui demander, lors d’une présentation du livre devant des libraires, si elle était… designer de cuisines.
«Mais émotivement, c’est un roman qui est proche de moi, vraiment beaucoup. Tout le questionnement sur la famille, l’éclatement, le morcellement familial. Pour moi, c’est un roman sincère, pas mécanique, qui n’essaie pas de faire du sensationnalisme autour de l’infidélité. Les couples qui se séparent, pour moi, c’est bien plus que des statistiques. »
Maternité et tyrannie
À lire Un lien familial, dont le titre exprime bien l’ambiguïté qui est au coeur du couple et de la maternité — à la fois une forme de contention et de relation —, on se dit que l’égalité des sexes, aujourd’hui encore, est parfois une vue de l’esprit.
Si son roman met en lumière la réalité de l’asservissement des femmes à la mission familiale (aliénées par le «modèle de mère parfaite qui nous fait croire qu’on est des sous-merdes si on donne des Whippets
À lire Un lien familial, on se dit que l’égalité des sexes, aujourd’hui encore, est parfois une vue de l’esprit
à nos enfants», dira l’un de ses personnages), elle confie ne surtout pas avoir voulu écrire un manifeste.
«J’ai eu beaucoup de discussions là-dessus avec des amies, je le vois, je l’observe, la cellule du couple, quand tu n’as pas mis certaines choses au clair, ça peut vraiment devenir une source d’insatisfaction et d’inégalité dès qu’il y a des enfants qui apparaissent.» On le sait, le jeu de l’amour et du hasard peut aussi créer des perdants. À cet égard, Un lien familial n’est certainement pas le récit de la résilience féminine.
Ces dernières années, même si elle a peu publié, Nadine Bismuth n’était jamais vraiment loin de sa table de travail, occupée à écrire pour la télévision et le cinéma. Elle a notamment signé l’adaptation québécoise des deux saisons de la série En thérapie.
Mais cette histoire, elle tenait à être seule pour la raconter. «J’avais envie que ce soit une aventure intime et qu’elle parvienne au lecteur sans intermédiaire. Sans acteurs, sans musique, sans réalisation. J’avais envie d’un contact intime avec les lecteurs. Et je voulais que ça se traduise dans un roman. Pas autrement. »