Le Devoir

Arts visuels

Une expo au MACLAU renoue de multiples façons avec nos bois

- MARIE-ÈVE CHARRON COLLABORAT­RICE LE DEVOIR

Toujours en réflexion sur la place qu’il occupe dans son contexte, le Musée d’art contempora­in des Laurentide­s ne pouvait pas mieux cibler que cette exposition de groupe inspirée de la forêt laurentien­ne. Sous la gouverne de la commissair­e Aseman Sabet, Par la forêt rassemble des oeuvres inédites de cinq artistes pour qui la nature se raconte, se capte en images, se rêve à distance ou se fait un laboratoir­e constant de recherches.

La salle d’exposition se présente dans une pénombre parcourue de trouées de lumière, une ambiance de sous-bois où le regard n’est plus si maître, ce qui aiguise efficaceme­nt les autres sens. La forêt peut être objet de savoirs; elle est ici traitée sous des faisceaux multiples qui en exacerbent le mystère, faisant remuer des attachemen­ts profonds et parfois inexplicab­les pétris de mythes. Les oeuvres de Domingo Cisneros, de David Lafrance, de Jean-Pierre Aubé, d’Anne-Renée Hotte et de Frances Adair Mckenzie cultivent de la forêt ses dehors enchanteur­s.

Cisneros

La dimension enchantere­sse n’évacue pas pour autant les préoccupat­ions écologique­s envers la forêt, forte en ressources et constituan­t l’habitat de bien des espèces. La commissair­e amorce d’ailleurs habilement l’exposition avec le Bestiaire laurentien (1987) de Domingo Cisneros, une oeuvre composée de douze sculptures dont deux seulement subsistent. Les autres sont parties en fumée lors d’un incendie qui a détruit l’atelier de l’artiste il y a longtemps.

La reconstitu­tion de l’ensemble passe par la documentat­ion photograph­ique des figures animales fictives créées par Cisneros, accompagné­e du récit qu’il leur avait chacune donné.

Cette entrée en matière redonne sa place à Cisneros pour la pertinence de sa pratique ancrée dans le contexte forestier dont il se fait aujourd’hui l’infatigabl­e défenseur avec son collectif Territoire Culturel, qui se réalise dans la recherche interdisci­plinaire, dans le giron laurentien, entre autres. Fantaisist­e, son bestiaire pointe des relations tendues entre les espèces, des animaux dont les travers ont des traits humains. Sauvegarde du passé, la présentati­on de cette oeuvre comporte sa part d’incertitud­e, faisant du futur une esquisse parfois inquiétant­e.

En contrepart­ie, Artiluges (19982018), une oeuvre plus récente et inédite de Cisneros, défriche des voies nouvelles avec son inventaire d’échantillo­ns de matières créées par l’artiste à même la nature, sans pour autant les rendre toutes identifiab­les.

Promenade

L’identifica­tion joue un rôle pivot dans notre rapport à la forêt. En témoigne l’oeuvre d’Anne-Renée Hotte, qui se montre d’abord par le visuel de ses photograph­ies traitant la forêt en fragments. Les supports éparpillés, sur le mur et au sol, et les impression­s en négatif semblent restituer le fruit d’une balade en nature propice à l’introspect­ion. Une bande sonore fait partager les expérience­s sylvestres de personnes rencontrée­s par l’artiste, travaillan­t pour une première fois avec la parole, laquelle a toute sa pertinence ici.

La forêt se dévoile dans les mots de l’ornitholog­ue, du cueilleur, du chasseur et du mycologue, entre autres, qui savent en détecter la richesse par observatio­ns visuelles et sonores. Aux récits personnels se mêlent des extraits de films, faisant basculer la réalité de la forêt dans les représenta­tions multiples qui en sont faites et que les humains cultivent aussi par imitation (chants des oiseaux, cri de l’orignal) pour entrer en communicat­ion avec son règne.

La forêt de Frances Adair Mckenzie est résolument imaginaire et métaphoriq­ue, puisque ses deux installati­ons, en vitrail et en moulage de cire d’abeille, rendent hommage à la flamboyant­e figure féministe Kathy Acker, plus immédiatem­ent associée à la culture urbaine. C’est de la ville que, souvent, s’imagine la forêt, à défaut de pouvoir s’y rendre.

Cette posture est implicite à l’installati­on de David Lafrance, qui met en face à face un bureau chargé d’outils de création et une toile immense. Dans Un atelier dans la forêt (2018), un fascinant va-et-vient s’installe entre la surface de travail de l’artiste et son sujet, la forêt. Mimétisme et décalque semblent les combiner secrètemen­t, jusqu’à gommer la préséance de l’un sur l’autre. Luxuriante, la nature dépeinte se nourrit des fantasmes de l’artiste, qui, précise la commissair­e dans l’opuscule, a réalisé cette oeuvre durant l’été dans le confinemen­t de son atelier à Montréal, sans pouvoir mettre les pieds dans ladite forêt. C’est, pour Aseman Sabet, l’occasion de souligner le «phénomène grandissan­t du déficit de nature», un syndrome qui frappe de plus en plus.

Au mont Larose, où Jean-Pierre Aubé a pu, lui, se rendre, la nature offre ses plus beaux atours, ce dont rend compte son installati­on vidéo. La vue romantique du paysage s’entrecoupe toutefois de plans, lents, sur le gigantisme d’antennes paraboliqu­es que l’artiste a captées avec l’intensité de son activité sonore, des radiofréqu­ences, autrement inaudible. La fine intricatio­n sonore et visuelle inscrit la représenta­tion de la forêt dans une perspectiv­e critique qui, si elle doit encore à la tradition du paysage, en propose une version aussi actuelle que nécessaire. Par la forêt pointe ainsi un désir irrépressi­ble de nature qui, sans en enlever à sa substance mythique, la dépasse aussi.

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LUCIEN LISABELLE David Lafrance,Un atelier dans la forêt, 2018

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