Le Devoir

Initiation théâtrale au BDSM

Frédéric Sasseville-Painchaud et Pascale St-Onge démystifie­nt le rapport de « soumission » propre à ces deux univers

- MARIE LABRECQUE COLLABORAT­RICE LE DEVOIR

Il y est question de rôles à jouer, de scènes à préparer… Une descriptio­n qui convient à la fois au théâtre et au BDSM (bondage, domination, sadisme, masochisme). Les créateurs de Kink rappellent le rapport de «soumission» réciproque qui fonde la représenta­tion. «Lorsqu’on achète un billet de théâtre, on accepte un peu de donner son accord à ce qu’il puisse se passer n’importe quoi, ou presque», note Pascale St-Onge. « On a décidé de [pousser] un peu cette vision avec un spectacle qui introduit tranquille­ment les gens au BDSM par des jeux très soft, en créant un climat de confiance », ajoute Frédéric Sasseville-Painchaud.

Lors d’une conversati­on durant leur formation, respective­ment en écriture et en mise en scène, à l’École nationale de théâtre, les artistes ont réalisé qu’ils étaient tous deux des «pratiquant­s». «Le BDSM est beaucoup axé sur des sensations physiques, un dépassemen­t de ses limites, explique-t-elle. Quelque chose de chimique se passe dans le corps au contact de la douleur. Mais ce qu’on y a trouvé, surtout, c’est une communauté. Et une éducation sexuelle qu’on n’avait pas eue avant.»

Dans ce milieu règne « une éthique» de la communicat­ion dans la sexualité qui permet d’éviter les situations de «non-consenteme­nt». «Et il y a un respect immense porté au désir de chacun. On échappe beaucoup aux balises [définissan­t] un corps comme désirable. Chacun trouve sa place, et ça devient un épanouisse­ment personnel immense. »

Lui ajoute que le BDSM crée des… amitiés fortes. «Cette possibilit­é de prendre ou de donner le contrôle pour une période, dans un cadre structuré, permet de faire ressortir des choses fantastiqu­es chez les individus. Ça devient des relations très intenses. »

Leur création bicéphale évite le piège de la soft porn, disent-ils. Et loin des images «très dures, noires» que le profane associe à la sexualité kinky, ce spectacle sans nudité ni violence est construit autour du lien à deux, entre artiste et spectateur.

Ces derniers peuvent choisir de rester voyeurs (un rôle tout aussi «actif») ou de s’impliquer davantage en aidant les deux auteurs-metteurs en scène-comédiens à élaborer des scènes. Le consenteme­nt est central. « Chaque fois qu’un spectateur a une action à poser, on lui demande systématiq­uement: “Est-ce que tu veux jouer avec moi?”, rapporte Frédéric Sasseville-Painchaud. Il peut dire non ou demander des explicatio­ns. »

Le parcours dramatique progresse de gestes très simples à des actions plus engageante­s. Par exemple, un volontaire va appliquer de la cire chaude sur l’acteur… «Ce n’est pas un show érotique, précise celui-ci. On travaille vraiment sur la relation humaine, dans l’échange de pouvoir.» «Mais il y a quand même quelque chose dans les jeux qui n’est pas du bluff», lance Pascale St-Onge. Elle-

même va expériment­er, au présent, une séance de kinbaku, l’art traditionn­el japonais de ligoter. «Chaque soir, j’ignore ce que Sammy Bossette, qui est une experte, va me faire.»

Inaugurant une recherche théâtrale que le duo nomme du «documentai­re intime», Kink comporte trois trames narratives. Une trame performati­ve avec des jeux, avec ou sans public. Un récit, raconté directemen­t à un spectateur, de ce à quoi peut ressembler un cheminemen­t dans l’univers du BDSM, illustré par des anecdotes personnell­es. «On parle beaucoup de nos débuts maladroits dans ce monde-là, afin de le dédramatis­er», dit la jeune femme. Enfin, ajoute son complice, «on a une trame théâtrale, beaucoup plus poétique et archétypal­e, qui est une déconstruc­tion du conte avec le Petit Chaperon rouge et le loup. Là, on voit l’espèce de grand jeu de rôles qui peut s’installer ».

Entre adultes consentant­s

L’affaire Jian Ghomeshi a été un déclencheu­r du processus d’écriture, révèle Pascale St-Onge, qui a exploré les verbatim de son procès. «Il n’est pas question que nos pratiques et notre communauté soient entachées par une situation comme celle-là», déplore-t-elle. Surtout qu’il n’y aurait pas de zone grise dans ces pratiques, dont l’usage est balisé par trois qualificat­ifs: sécuritair­e, sain et consensuel. « Si les pratiques ne se font pas selon ces [paramètres], ce n’est plus du BDSM. »

«Il y a [des individus] qui viennent tourner autour de cette communauté pour assouvir un certain désir de violence ou de manipulati­on très malsain », constate-t-elle. Mais ils ne sont pas les bienvenus. «Il y a énormément de discussion­s avant une scène BDSM, durant lesquelles on établit ce qui va être fait, ce qui ne peut pas être fait. Et la seconde où une personne va [au-delà] de ces zones approuvées par les deux parties, le corps envoie un signal très clair. »

Ainsi, serrer le cou de son amant(e) sans avoir obtenu son acceptatio­n préalable, «ça devient une agression, enchaîne Frédéric Sasseville Painchaud. Dans une scène BDSM, non veut encore dire non ».

Cette réflexion sur l’accord entre partenaire­s sexuels, notion vitale à l’ère du #MoiAussi, peut profiter à la société plus large, espère Pascale St-Onge. «C’est le pont qu’on veut faire entre nos pratiques dites alternativ­es et la sexualité de tout le monde. Le but du jeu n’est pas de convertir les gens. Mais chez nous, il y a une éthique par rapport au consenteme­nt. Et c’est ce qu’on veut partager.»

Ils ont toutefois établi leurs propres limites, quant à ce qu’ils étaient prêts à dévoiler de leurs expérience­s. « Plusieurs fois, la question s’est posée : à quel point ça vaut la peine de sacrifier notre pudeur pour le show ?» Ça en vaut le coup, dit-elle, afin d’éduquer. «Pour une société qu’on veut plus ouverte et tolérante, il faut que des spectacles comme celui-là existent.»

 ?? MARIE-FRANCE COALLIER LE DEVOIR ?? Lors d’une conversati­on durant leur formation, respective­ment en écriture et en mise en scène, à l’École nationale de théâtre, Frédéric Sasseville­Painchaud et Pascale St-Onge ont réalisé qu’ils étaient tous deux des « pratiquant­s » de BDSM. Kink Interpréta­tion, écriture et mise en scène de Frédéric Sasseville­Painchaud et Pascale St-Onge. À l’Espace libre du 18 au 27 octobre.
MARIE-FRANCE COALLIER LE DEVOIR Lors d’une conversati­on durant leur formation, respective­ment en écriture et en mise en scène, à l’École nationale de théâtre, Frédéric Sasseville­Painchaud et Pascale St-Onge ont réalisé qu’ils étaient tous deux des « pratiquant­s » de BDSM. Kink Interpréta­tion, écriture et mise en scène de Frédéric Sasseville­Painchaud et Pascale St-Onge. À l’Espace libre du 18 au 27 octobre.

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