La tigresse tourmentée
De réfugiée à pop star en passant par cinéaste, les vies entremêlées de M.I.A.
M.I.A., de son nom véritable Mathangi «Maya» Arulpragasam, partage beaucoup de similitudes avec la regrettée Amy Winehouse, et pas seulement parce qu’elles ont émergé sur la scène musicale britannique à la même époque. Toutes les deux, depuis longtemps — on oserait même dire depuis leur naissance —, se sont volontairement placées devant une caméra, n’importe laquelle, se donnant en spectacle, espionnant leur entourage, ou l’utilisant comme un confessionnal.
Dans les deux cas, ce matériel abondant, riche, mais aussi anecdotique, offre une matière riche pour des documentaires intimistes, même si devant Amy, d’Asif Kapadia, s’empare de nous une certaine curiosité morbide, se désolant devant les failles qui l’ont conduite jusqu’à la mort. La posture est différente face à Matangi/Maya/M.I.A., un portrait de Steve Loveridge, ami de longue date de celle qui avait à peine dix ans en 1985 lorsqu’elle revient à Londres, son lieu de naissance, réfugiée originaire du Sri Lanka où elle a passé son enfance. Mais elle est aussi auréolée, bien malgré elle, comme la fille d’Arul Pragasam, un des membres éminents des Tigres tamouls, un mouvement de résistance indépendantiste face à un gouvernement impitoyable.
L’absence de son père dans le foyer familial londonien n’est que l’une des clés pour comprendre la rage, l’énergie, l’insolence, la créativité et le maladif besoin d’attention qui caractérisent toujours cette femme que l’on voit grandir pendant 90 minutes. De la petite fille qui se déhanche pour la galerie à celle qui fait scandale au Super Bowl 2012 aux côtés de Madonna en montrant un doigt d’honneur pendant la chanson Give Me All You Luvin’ (même doigt que l’on peut distinctement voir dans le vidéoclip de la chanson…), il y a entre les deux une militante un peu hors-norme, un peu brouillonne, qui ne demandait qu’à naître.
Et elle le fera en renouant avec une partie de sa famille au Sri Lanka en 2001, effectuant par la suite plusieurs voyages en Inde, et partout à travers le monde lorsqu’au sommet de sa popularité. Son positionnement culturel et politique trouvera d’abord un large écho, mais la fronde médiatique va secouer celle qui commence à peine à maîtriser les codes de cet univers. Car être invitée dans les talk-shows de fin de soirée (Bill Maher s’avère plutôt condescendant) ou faire l’objet d’un long portrait dans le New York Times la confronte à ses contradictions, tout en nourrissant la haine de ses détracteurs — à commencer par le gouvernement sri-lankais.
Ces revers de fortune ne l’empêcheront pas de poursuivre sa carrière, et son combat, empruntant une trajectoire abrupte, et surtout pas celle où les albums et les tournées s’enfilent à la chaîne. Depuis ses années d’études en cinéma au Central Saint Martins College of Art and Design, là où elle a rencontré Steve Loveridge, M.I.A. sait mieux que jamais manier la caméra. Pas juste pour la
placer en sa direction et servir son image (ce qu’elle réussit d’ailleurs très bien), mais servir aussi une cause qui souvent la dépasse. Et si elle n’hésite jamais à sortir l’artillerie lourde pour se faire voir et entendre (les vidéos Bad Girls, Born Free, et tant d’autres, ne font jamais dans la dentelle), cette tigresse tourmentée n’a pas donné ses derniers coups de griffes. Sauf au prochain Super Bowl.
Matangi/Maya/M.I.A.
★★★ 1/2 Documentaire de Steve Loveridge. États-Unis–Grande-Bretagne, 2018, 96 minutes.