Présence africaine
L’expérience de deux soldats sénégalais dans le chaos de la Première Guerre mondiale
On les a appelés les «tirailleurs sénégalais», même s’ils ne venaient pas tous du Sénégal. En 1914-1918, pendant la Première Guerre mondiale, on estime à près de 135 000 les soldats issus des colonies françaises d’Afrique de l’Ouest qui se sont battus en Europe sous le drapeau tricolore.
C’est un peu la matière de Frère d’âme, de David Diop, écrivain né à Paris en 1966, mais qui a grandi au Sénégal. Un roman puissant, vite sélectionné pour de nombreux prix littéraires en France, évoquant l’histoire de deux tirailleurs sénégalais, Alfa Ndiaye et Mademba Diop, qui se sont engagés afin de «sauver la mère patrie, la France ».
L’occasion pour ces deux «Chocolats» d’aller voir ailleurs, de faire mentir leur destin et de rentrer un jour chez eux, qui sait, en «grand quelqu’un».
«Nous tranchons les chairs ennemies, nous estropions, nous décapitons, nous éventrons.» Mais Alfa aura vite sur les bras et sur la conscience la mort de Mademba, son «plus que frère», éventré par des tirs ennemis. Ayant refusé de l’achever comme il l’en a supplié, Alfa va rapporter les tripes et le cadavre de son ami jusque dans leur tranchée. Le chagrin et la folie vont le pousser à aller prélever dans le sang et la boue, comme une bête sauvage, les bras mutilés des soldats d’en face.
«Ce que je n’ai pas fait pour Mademba Diop, je le fais pour mon ennemi aux yeux bleus. Par humanité retrouvée», raconte Alfa dans le monologue à l’oralité incantatoire par lequel il nous livre le récit des événements, ponctué de souvenirs de leur vie en Afrique.
Témoignage brouillé d’une petite apocalypse, séquences de sauvagerie, de violence et de folie meurtrière vues de l’intérieur, Frère d’âme s’interroge aussi sur la légitimité dont s’enveloppe chacun des camps d’une guerre. Une fable cruelle où les versions basculent, tandis que se déchire habilement le voile du réel.
En 1914-1918, on estime à près de 135 000 les soldats issus des colonies françaises d’Afrique de l’Ouest qui se sont battus en Europe sous le drapeau tricolore. C’est un peu la matière du livre de David Diop, né à Paris mais qui a grandi au Sénégal.