Le Devoir

Le nécessaire rebranding du Québec

Alexandre Soublière nous propose de renouer avec le vocable « Canadien français »

- DOMINIC TARDIF COLLABORAT­EUR LE DEVOIR

Alexandre Soublière travaille en publicité. Il s’y connaît donc en matière de mise en marché. Le chantier que suggère son troisième livre, La maison mère ? Une restaurati­on complète de la marque Québec, éclaboussé­e par deux revers référendai­res et confinée dans l’oeil de sa génération (il a 32 ans) à une certaine ringardise qui cristallis­erait l’oeuvre et l’héritage de Paul Piché. Propositio­n iconoclast­e: que nous renouions collective­ment avec le vocable « Canadien français ».

« Le branding du mot “québécois” a échoué. C’est resté attaché pour moi au Parti québécois, aux années 1970, à la Révolution tranquille », explique celui qui refuse de se définir comme fédéralist­e ou souveraini­ste. «Le mot “québécois” n’a pas réussi à rassembler tout le monde, dont les anglophone­s. Si je fais un mood board avec le mot “québécois”, ce qui me vient en tête, c’est des gars avec des cheveux longs, Robert Charlebois, une fleur de lys, une poutine et un vieux char des années 1970. “Canadien français”, ce n’est pas parfait, mais ça nous permettrai­t de refaire partie de ce pays qui est le Canada.»

Il est grand temps que les Québécois, des «orphelins identitair­es» qui vivotent «dans les limbes identitair­es, sans drapeau national, sans passeport et sans armée», se choisissen­t une autre source de fierté suprême que la langue, plaide l’auteur de Charlotte before Christ, roman franglais ayant généré en 2012 son lot de prophéties catastroph­istes quant à l’avenir du français chez les jeunes.

«Ce serait bien d’avoir une culture qui transcende la langue», pense celui qui a amorcé l’écriture de La maison mère alors qu’il habitait Vancouver, après s’être surpris à fredonner l’air À la claire fontaine que lui chantait sa mère quand il était enfant. «Aux États-Unis, des gens d’origine italienne, qui ne parlent pas italien, s’identifien­t quand même comme Italiens. Ma peur, c’est que, si on enlève la langue aux Québécois, il n’y ait plus de peuple, parce qu’on n’a jamais reconnecté avec le territoire, ou avec des principes ancestraux comme la chasse. C’est quoi, être Québécois, c’est quoi, être Canadien français, à part la langue?»

Roman survivalis­te

Soublière, essayiste sociopolit­ique? Précisons d’emblée que, même s’il mène cette surprenant­e réflexion sur l’identité québécoise, Alexandre Soublière ne peut s’empêcher de faire du Soublière et de puiser à nouveau dans le romantisme désespéré de ses deux précédents romans. La forme de La maison mère en est sans doute d’ailleurs sa plus divertissa­nte réussite.

Tout part en couille quand, dans un café où l’écrivain rencontre les intellectu­els Carl Bergeron (Voir le monde avec un chapeau) et Gérard Bouchard, le premier se fait planter un pic à glace dans le coeur par un voleur (!) pendant que le second fait une prise de jiu-jitsu brésilien à l’assaillant (vous avez bien lu).

Dans un Montréal assombri par une panne de courant tentaculai­re, Alexandre et ses amis dégotent des armes à feu et des denrées, puis s’enferment dans l’appartemen­t de l’un d’entre eux, quartier général de facto d’une fraternité indéfectib­le à partir duquel ils affrontero­nt l’apocalypse obscurciss­ant l’Occident.

Ce délire autofictio­nnel zigzague dès lors entre le roman dystopicos­ur vivaliste, la chronique d’un amour orageux et son projet initial de rebranding du Québec, tout en prenant de multiples détours, pour évoquer à la fois les travaux de Louis-Edmond Hamelin sur la nordicité et l’importance de l’oeuvre de la chanteuse Lana Del Rey. Analyse des circonstan­ces ayant permis l’élection de Donald Trump, défense du deuxième amendement de la Constituti­on américaine et éloge du Royal 22e Régiment se succèdent comme dans une sorte de cahier de bord des méditation­s et des sautes d’humeur d’un trublion obsédé par la culture états-unienne et guidé par un puissant esprit de contradict­ion. De la provocatio­n? Soublière ne le nie pas complèteme­nt.

«Mais si je parle du deuxième amendement, par exemple, c’est surtout parce que je trouve ça facile de juger un autre pays en n’allant pas au fond des choses. Je trouve ça facile de décrire la NRA [associatio­n pro-armes à feu] comme des gens qui aiment ça, voir des enfants se faire tuer. Même nos révolution­s pacifiques, nous, on les a faites à moitié. C’est facile de dire que les Américains sont niaiseux d’avoir mis dans la Constituti­on le droit de posséder une arme alors qu’ils l’ont fait, eux, leur indépendan­ce.»

Bien qu’il rejette l’étiquette de penseur de droite, Alexandre Soublière consacre une bonne partie de La maison mère à critiquer l’hypocrisie d’un certain progressis­me qui pigerait «comme dans un buffet les raisons pour lesquelles il est insulté ou pas ».

«Quand je parle de consensus mou, je parle surtout de mon milieu, le milieu culturel et littéraire, précise-t-il. Si une émission culturelle veut se donner la prétention du débat d’idées, tout le monde ne peut pas être tout le temps d’accord. On ne peut pas se contenter d’inviter des gens un peu conservate­urs juste pour rire d’eux.»

«Si je sortais un essai dans la collection “Liberté grande” de Boréal et que tout ce que je faisais, c’était taper sur la religion catholique, sur les anti-avortement et sur la CAQ, tout le monde de ma gang serait content et on passerait rapidement à autre chose, conclut-il. Alors que là, ça fait plein de fois que j’écris à mon éditeur pour lui demander : “Est-ce que c’est encore le temps d’effacer un passage?” J’ai peur, oui, de la réaction de mes amis, de la gauche, des médias bien-pensants. Un livre, ce n’est pas si important que ça au Québec, mais je peux voir comment ça pourrait mal tourner.»

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VALÉRIAN MAZATAUD LE DEVOIR Même s’il mène cette surprenant­e réflexion sur l’identité québécoise, Alexandre Soublière ne peut s’empêcher de puiser à nouveau dans le romantisme désespéré de ses deux précédents romans.
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La maison mère Alexandre Soublière, Boréal, Montréal, 2018, 288 pages

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