Le Devoir

Ottawa redéfinit le crime de bestialité

Il s’agit de la réponse à un acquitteme­nt qui avait fait scandale en 2016

- HÉLÈNE BUZZETTI CORRESPOND­ANTE PARLEMENTA­IRE À OTTAWA

La décision avait semé la consternat­ion en 2016 : un homme avait été acquitté par la Cour suprême d’une accusation de bestialité parce qu’il n’avait « que » fait lécher par un chien la vulve de sa belle-fille adolescent­e pendant qu’il photograph­iait le tout. Il n’y avait pas eu pénétratio­n et, aux yeux des juges, tel était l’étalon-or pour déterminer la culpabilit­é en ces matières. Ottawa vient changer la donne en redéfiniss­ant les concepts.

« Le projet de loi C-84 ajoute un passage à la définition de la bestialité contenue dans le Code criminel pour indiquer clairement que l’infraction interdit tout contact à des fins sexuelles entre une personne et un animal », a expliqué la ministre de la Justice, Jody WilsonRayb­ould. Selon la ministre, cette nouvelle définition permettra de mieux protéger les enfants. « Les recherches ont démontré un lien très clair entre la bestialité et l’abus sexuel d’enfants ainsi que d’autres formes de violence. »

Animaux Canada, la fédération qui regroupe les SPCA et d’autres associatio­ns de protection animalière, est satisfaite du projet de loi C-84 déposé jeudi. «Ce projet de loi répond à presque 100 % de nos demandes », se réjouit Pierre Sadik, le responsabl­e des affaires législativ­es chez Animaux Canada. Et encore. Il dit utiliser le mot « presque » par précaution, juste au cas où une lecture plus approfondi­e du texte lui révélerait une surprise. L’Associatio­n canadienne des médecins vétérinair­es se félicite elle aussi de l’annonce.

M. Sadik rappelle à quel point la décision de la Cour suprême de 2016 avait été « crèvecoeur », même s’il reconnaît que d’un point de vue légal, les juges avaient eu raison de se baser sur la définition traditionn­elle de bestialité — limitée à la pénétratio­n — et de plutôt exhorter le législateu­r à intervenir s’il voulait faire évoluer cette définition.

Il se dit toutefois « frustré » qu’Ottawa ait mis deux ans à régler un problème aussi simple. Le projet de loi déposé jeudi compte trois petites pages, notes explicativ­es comprises. La ministre Wilson-Raybould a été incapable d’expliquer ce délai autrement que par le désir du gouverneme­nt de consulter les intervenan­ts du milieu. M. Sadik soutient qu’au moins une « demi-douzaine » de cas de bestialité ont été rapportés depuis cette décision de 2016, notamment celui de Jason Dickens, un ancien comédien de la populaire série télévisée pour jeunes Degrassi High.

« Il a été inculpé il y a deux ans, après la décision [de la Cour suprême], et la semaine dernière, il a plaidé [coupable] pour la plupart des accusation­s, mais il ne l’a pas fait, et ne sera donc pas condamné, pour l’accusation de bestialité, et on peut présumer que c’est parce que les gestes qui lui étaient reprochés n’impliquaie­nt pas de pénétratio­n. »

Le député libéral Nathaniel ErskineSmi­th avait piloté un projet de loi en 2016 modifiant justement la définition de bestialité, mais le gouverneme­nt libéral l’avait bloqué. C’est que le projet de loi incluait aussi des aspects ne faisant pas l’objet de consensus, tels que l’interdicti­on de l’importatio­n de nageoires de requin et l’étiquetage des textiles de provenance animale. Signe qu’il se rallie, M. Erskine-Smith était présent à l’annonce de la ministre Wilson-Raybould, jeudi.

Pour la petite histoire, l’homme au coeur de la décision de 2016 (qui ne peut être nommé pour protéger l’identité de ses deux victimes, mineures au moment des faits) avait quand même été condamné pour treize chefs d’accusation pour abus sexuels répétés. L’accusation de bestialité comptait pour deux des dixsept ans d’emprisonne­ment auxquels il avait été condamné au départ.

Cruauté envers les animaux

Le projet de loi C-84 élargit par ailleurs les dispositio­ns interdisan­t les combats d’animaux. À l’heure actuelle, il n’est illégal de construire ou d’entretenir une arène que si elle est destinée aux combats de coqs. La dispositio­n est réécrite pour inclure toutes les arènes servant à des combats d’animaux. On élargit aussi la liste des interdits pour inclure le fait d’entraîner, de transporte­r ou de faire l’élevage d’un animal à des fins de combat d’animaux, d’organiser ou de promouvoir de tels combats et d’en tirer profit.

M. Sadik, d’Animaux Canada, explique que ce changement était nécessaire pour prendre acte de la sophistica­tion de cette industrie, de plus en plus diffusée sur Internet. « C’est plus difficile d’arrêter les gens qui aident à faire cela ou qui en tirent de l’argent parce qu’ils ne sont pas présents aux combats, ils sont impliqués virtuellem­ent, ils misent en ligne. […] Le changement permet de ratisser plus large. Ce n’est plus seulement le gars qui tient la laisse du chien [qui peut être accusé], c’est aussi celui qui a transporté le chien, qui l’a entraîné ou celui qui en tire profit. »

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