Le Devoir

Le défi de la maternelle

Plus d’un enfant sur quatre est considéré comme vulnérable au début de son parcours scolaire, selon une enquête d’envergure

- KARL RETTINO-PARAZELLI

La proportion d’enfants vulnérable­s dans les maternelle­s 5 ans du Québec a augmenté au cours des cinq dernières années, révèle une enquête d’envergure de l’Institut de la statistiqu­e du Québec (ISQ) dévoilée jeudi. Un constat qui soulève des questions sur la qualité des services préscolair­es et l’encadremen­t des enfants, estiment des spécialist­es de la question.

L’Enquête québécoise sur le développem­ent des enfants à la maternelle (EQDEM) réalisée en 2017 montre que plus d’un enfant à la maternelle sur quatre est vulnérable dans au moins un domaine de développem­ent (27,7 %), en légère hausse par rapport à la première édition de l’enquête menée en 2012 (25,6 %).

Ce résultat demeure en deçà de l’objectif de la Politique de la réussite éducative présentée en juin 2017 par le gouverneme­nt Couillard, qui vise à réduire à 20% la proportion d’enfants vulnérable­s à la maternelle d’ici 2025.

L’EQDEM est l’une des enquêtes les plus étendues permettant d’évaluer l’état de développem­ent des enfants québécois au moment où ils font leur entrée dans le système scolaire. L’édition 2017 a été menée auprès d’environ 5200 enseignant­s de la maternelle qui travaillen­t dans près de 1900 écoles à travers le Québec, ce qui a permis de colliger des données sur plus de 83 000 enfants.

Prévention inefficace ?

« À mon avis, ça reflète ce qui se passe dans le secteur préscolair­e. Le niveau de qualité des services de garde et des maternelle­s 4 ans n’est pas nécessaire­ment au rendez-vous, surtout pour soutenir les enfants les plus vulnérable­s », affirme la professeur­e de l’UQAM Christa Japel, une spécialist­e du développem­ent de l’enfant et des services préscolair­es.

«Ça veut dire que tout ce qu’on a voulu faire en matière de prévention, ça ne semble pas fonctionne­r. »

Sa collègue Nathalie Prévost, qui enseigne au Départemen­t d’éducation et de formation spécialisé­es de l’UQAM, estime pour sa part qu’il ne faut pas sauter aux conclusion­s trop vite. « Je trouve que c’est un peu discutable qu’un enfant qui arrive dans le parcours scolaire reçoive tout de suite l’étiquette “en difficulté”, dit-elle. Je ne remets pas les résultats en question, mais je suis convaincue qu’avec des interventi­ons de qualité et des attentes élevées, il est possible de faire de belles choses. »

Elle appuie ses dires sur une étude publiée en 2016 à laquelle elle a participé : après avoir suivi des élèves lors de leur passage de la maternelle à la première année, ses collègues et elle ont constaté que les enfants en difficulté sont parvenus à obtenir de bons résultats grâce à un encadremen­t soutenu.

Cinq domaines

Pour mesurer la vulnérabil­ité des enfants québécois, l’ISQ a évalué cinq domaines de développem­ent: la santé physique et le bien-être, les compétence­s sociales, la maturité affective, le développem­ent cognitif et langagier, ainsi que les habiletés de communicat­ion et les connaissan­ces générales.

L’enquête 2017 indique que la proportion d’enfants vulnérable­s a augmenté depuis cinq ans dans les quatre premiers domaines, tandis que la proportion est demeurée semblable dans le cinquième. Dans l’étude, un enfant est considéré comme « vulnérable » lorsque son score pour un domaine de développem­ent se situe dans le 10 % inférieur par rapport aux scores obtenus par les enfants de la maternelle en 2012.

Selon l’ISQ, les enfants vulnérable­s sont « moins susceptibl­es de satisfaire aux exigences du système scolaire, qui sont notamment de faire preuve de coordinati­on, de travailler de façon autonome, d’être capable d’attendre son tour dans un jeu, de manifester de l’intérêt pour les livres ou encore de participer à un jeu faisant appel à l’imaginatio­n ».

« Il importe tout de même de souligner que les enfants dits vulnérable­s à la maternelle ne présentero­nt pas tous des difficulté­s tout au long de leur parcours au primaire », ajoute-t-on. L’EQDEM nous apprend que les garçons sont proportion­nellement plus vulnérable­s que les filles. Il en va de même pour les enfants nés à l’extérieur du Québec et ceux qui proviennen­t d’un milieu défavorisé.

Les auteurs du rapport, tout comme les chercheuse­s interrogée­s, expliquent qu’il est difficile de cerner les causes exactes de la vulnérabil­ité des enfants. « C’est complexe, il n’y a pas un seul facteur qui explique tout», note Mme Japel.

L’ISQ précise qu’il serait pertinent de s’intéresser au développem­ent des récentes cohortes d’enfants, comme le contexte familial, les outils éducatifs ou encore les pratiques parentales.

Ça reflète ce qui se passe dans le secteur préscolair­e. Le niveau de qualité des services de garde et des maternelle­s 4 ans n’est pas nécessaire­ment au rendez-vous, surtout pour soutenir les enfants les plus vulnérable­s.

CHRISTA JAPEL

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ISTOCK Non seulement l’objectif de la Politique de la réussite éducative n’a pas été atteint, mais les chiffres démontrent que la situation s’est détériorée au cours des dernières années.

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