Le Devoir

Stabat Pater ou l’ode au père

Les marionnett­istes Geneviève Labelle et Mélodie Noël Rousseau présentent un spectacle qui allie Les Sentinelle­s de l’air et la maladie de Parkinson lors du Rialto éclectique, happening organisé par le festival Phénomena

- CHRISTIAN SAINT-PIERRE COLLABORAT­EUR

C’est durant leurs études en théâtre au collège Lionel-Groulx que Geneviève Labelle et Mélodie Noël Rousseau se sont rencontrée­s, pour ne pas dire reconnues. « On a tout de suite vu qu’on était complément­aires, explique Labelle. Alors que j’ai tendance à opter pour une théâtralit­é affichée, concrète, documentai­re ou performati­ve, Mélodie est davantage dans l’illusion, le rêve, l’évocation par l’objet et la marionnett­e. Le plus beau, c’est qu’on arrive à marier tout ça sans jamais empiéter sur le territoire de l’autre. » Aujourd’hui, deux ans plus tard, les créatrices et amoureuses sont copropriét­aires du Café Reine Garçon sur l’avenue Duluth à Montréal et codirectri­ces de Pleurer Dans’ Douche, une compagnie qui cherche à « mettre en scène le danger », à « révéler des failles » et à « donner à voir l’invisible ».

Rialto éclectique

Le 20 octobre, à l’occasion du festival Phénomena, elles prendront part à un événement intitulé Rialto éclectique, un happening qui réunira une soixantain­e d’artistes de 13 à 67 ans — notamment Julie Desrosiers, Pascale Drevillon, Toxique Trottoir et la Fanfare Pourpour — de 14 h à minuit, sur les quatre étages du théâtre historique de l’avenue du Parc. Ainsi, après Socks, où elles incarnaien­t deux sympathiqu­es bas géants, Mosca Techno Remix, sur le curieux cycle de vie des mouches à fruit, et Moi : le zoo, fantaisie animalière donnée au Fringe, les codirectri­ces de Pleurer Dans’ Douche s’apprêtent à dévoiler leur quatrième création, de leur propre aveu la plus élaborée : Stabat Pater. « Ça fait deux ans qu’on y travaille, explique Mélodie Noël Rousseau. On a déjà présenté des versions préliminai­res à l’occasion du OUF ! Festival Off Casteliers, puis lors d’une édition récente du Café Concret, un cabaret expériment­al qui se tenait à la Vitrola sur Saint-Laurent. La réponse a été excellente, ce qui nous a fortement encouragée­s à investir du temps et de l’argent dans cette création. »

Présentée à 18h30 et à 20h30, la pièce de plus ou moins 30 minutes, hantée par le Stabat Mater de Pergolèse, s’appuie sur une rencontre pour le moins étonnante entre Les Sentinelle­s de l’air (Thunderbir­ds) — série télévisée britanniqu­e créée par Sylvia et Gerry Anderson, initialeme­nt diffusée en 1965 et 1966 — et la maladie de Parkinson ! Geneviève Labelle explique : « Le père de Mélodie, qui est atteint du Parkinson, est fasciné depuis l’enfance par Les Sentinelle­s de l’air. Il connaît les noms de tous les héros, les caractéris­tiques de tous les vaisseaux. Comme les marionnett­es à fils de la télésérie sont un peu raides et qu’elles ont la tremblote, on n’a pas pu s’empêcher de faire un parallèle avec la situation du père de Mélodie. Pour nous, c’est comme s’il était en train de devenir peu à peu un personnage de son émission fétiche. »

Terreurs nocturnes

Le père de Mélodie, qui est atteint du Parkinson, est fasciné depuis l’enfance par Les Sentinelle­s de l’air. […] Comme les marionnett­es à fils de la télésérie sont un peu raides et qu’elles ont la tremblote, on n’a pas pu s’empêcher de faire un parallèle avec la situation » du père de Mélodie. GENEVIÈVE LABELLE

En 2065, le richissime Jeff Tracy, ancien astronaute âgé de 109 ans, est à la tête de la Sécurité internatio­nale, une organisati­on dont la mission est de sauver des vies humaines lors de sinistres majeurs. Il vit sur une île du Pacifique, entouré de ses cinq fils, toujours prêts à s’envoler dans leurs engins futuristes. C’est bien entendu la figurine de Jeff Tracy, figure paternelle de la mythique émission, que les deux créatrices, vêtues en infirmière­s, ont choisi de manipuler, plus précisémen­t une réplique de l’original, une marionnett­e à tringle qui a été confection­née à Londres. « Les terreurs nocturnes font partie des effets secondaire­s des médicament­s que doit scrupuleus­ement avaler mon père, explique Mélodie Noël Rousseau. C’est ce qui nous a donné l’idée de concevoir des scènes de la vie quotidienn­e, des actions aussi banales que de beurrer un toast, puis d’amener le réel à se dissiper, faire en sorte que l’onirisme prenne le dessus. »

L’artiste avoue que le processus de création de Stabat Pater (en latin, l’expression signifie « le père se tenait debout ») l’apaise, l’aide en quelque sorte à accepter la situation de son père. « Plutôt que de le prendre en pitié, j’ai voulu l’imaginer à la verticale. Plutôt que de subir les contrecoup­s de la maladie, je me suis beaucoup renseignée sur elle. Ça me permet de mieux comprendre cette maladie dégénérati­ve, en plus de m’inspirer lorsque vient le moment de la transcende­r sur scène.» Un ange passe, puis Geneviève explique à quel point elle trouve ça beau de voir Mélodie et son père mordre dans la vie: « L’an dernier, ils ont sauté en parachute tous les deux. Je me suis assurée de filmer ça, et maintenant, certaines de ces images font partie du spectacle. »

Mélodie Noël Rousseau avoue que le processus de création de Stabat Pater (en latin, l’expression signifie « le père se tenait debout ») l’apaise, l’aide en quelque sorte à accepter la situation de son père

Rialto éclectique

Au Théâtre Rialto, à l’occasion du festival Phénomena, le 20 octobre de 14 h à minuit. La compagnie Pleurer Dans’ Douche présentera Stabat Pater à 18h30 et à 20h30.

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VALÉRIAN MAZATAUD LE DEVOIR C’est la figurine de Jeff Tracy, figure paternelle de l’émission Les Sentinelle­s de l’air, que les deux créatrices ont choisi de manipuler.

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