Le Devoir

Ottawa épargnera les citoyens

L’argent prélevé dans les provinces récalcitra­ntes sera remis à leurs contribuab­les

- TAXE CARBONE HÉLÈNE BUZZETTI CORRESPOND­ANTE PARLEMENTA­IRE À OTTAWA

Les libéraux fédéraux de Justin Trudeau ont trouvé un moyen de calmer la grogne qu’ils sont susceptibl­es de rencontrer sur leur chemin électoral dans certaines provinces clés dirigées par des gouverneme­nts conservate­urs faroucheme­nt opposés à la tarificati­on du carbone : des remboursem­ents d’impôt. Ottawa entend rembourser dès le printemps 2019 les citoyens qui se verront imposer la taxe fédérale parce que leur province aura refusé d’agir.

Les montants versés, pour une famille moyenne de quatre personnes, atteindron­t 256 $ au Nouveau-Brunswick, 307 $ en Ontario, 340 $ au Manitoba et 609 $ en Saskatchew­an. Trois de ces quatre provinces sont dirigées par un gouverneme­nt conservate­ur, et le Nouveau-Brunswick pourrait s’ajouter sous peu puisque les libéraux sont sur le point de perdre le pouvoir dans un contexte minoritair­e.

Les montants remboursés aux citoyens seront calculés à même leurs déclaratio­ns de revenus et inclus dans les remboursem­ents auxquels ils ont droit, ou soustraits des montants dus, selon le cas. Le montant versé au printemps 2019 constituer­a une avance puisque ce n’est qu’à compter du 1er avril 2019 que la taxe fédérale commencera à s’appliquer.

Le chef conservate­ur fédéral, Andrew Scheer, n’a pas hésité à qualifier la mesure de «combine électorale» qui n’aura d’autre effet que de hausser le prix d’à peu près tout au pays. Ce à quoi le premier ministre Justin Trudeau a répliqué que ce sont les conservate­urs qui tentent d’acheter des votes en remettant toujours à plus tard le moment d’entreprend­re des actions contre les changement­s climatique­s.

« La question à poser aux politicien­s conservate­urs c’est : « S’ils ne veulent pas agir, qui pensent-ils devrait agir à leur place ? » […] Les politicien­s conservate­urs continuent de penser qu’on peut continuer de repousser le problème. L’ONU a été très claire : on a 12 ans. »

M. Scheer a promis qu’il abolirait la taxe sur le carbone, ce qui lui a valu d’être traité d’« autruche » par les libéraux à la Chambre des communes. Il entend dévoiler plus tard son propre plan environnem­ental. Le chef conservate­ur est en symbiose avec ses partenaire­s provinciau­x qui tentent de créer

une coalition anti-taxe sur le carbone. Le premier ministre de la Saskatchew­an, Scott Moe, a d’ailleurs demandé à Ottawa de suspendre sa taxe le temps qu’il finisse d’en préparer la contestati­on devant les tribunaux.

La chef du Parti vert, Elizabeth May, a pour sa part félicité M. Trudeau. Elle voit dans le mécanisme une «bonne première étape » qui devra être bonifiée avec le temps. Elle approuve le remboursem­ent aux contribuab­les, qu’elle voit comme une garantie de pérennité du programme puisqu’aucun futur gouverneme­nt n’osera l’annuler de peur de s’aliéner les électeurs.

« Oh oui, ça aidera les libéraux à avoir des votes, et cela mettra en lumière toute l’inutilité d’Andrew Scheer et de sa lâche négligence. »

Le chef du Nouveau Parti démocratiq­ue, Jagmeet Singh, estime lui aussi qu’il s’agit d’une « première étape » positive, mais il déplore que le Canada ne se dote pas d’une cible plus ambitieuse de réduction de ses gaz à effet de serre (GES).

Un plan à somme nulle

Ottawa avait demandé aux provinces de se doter d’une formule maison pour imposer un prix aux GES. Trois l’ont fait (Colombie-Britanniqu­e, Alberta, Québec) et trois sont sur le point de le faire (Nouvelle-Écosse, Terre-Neuve et Île-du-Prince-Édouard). Comme ces provinces gèrent déjà les revenus de leur tarificati­on, leurs citoyens ne recevront pas d’argent d’Ottawa.

Aux récalcitra­ntes, Ottawa impose sa propre recette comprenant deux volets : une redevance sur les combustibl­es fossiles (4,42 ¢ le litre d’essence, 3,91 ¢ par mètre cube de gaz naturel) et des plafonds d’émission de GES pour les grands émetteurs industriel­s (cimenterie, mines, producteur­s d’engrais, etc.).

Au-delà de ces plafonds, les entreprise­s doivent payer la taxe à Ottawa ou acheter des crédits auprès de concurrent­es plus vertes. C’est parce que les plafonds sont fixés à 80 % de la moyenne d’émission de chaque secteur qu’Andrew Scheer et ses troupes répètent en boucle que les grandes entreprise­s sont épargnées.

Les montants imposés par Ottawa équivalent à 20 $ la tonne d’émission de GES en 2019, prix qui atteindra 50 $ en 2022. Tout l’argent perçu est retourné tel que promis dans les provinces. Les 2,3 milliards de dollars qui proviendro­nt en 2019 de la redevance sur les combustibl­es seront retournés à 90 % aux citoyens par la déclaratio­n de revenus. Les 10 % restants seront destinés à un fonds que pourront utiliser les municipali­tés, les hôpitaux, les écoles, les petites entreprise­s, les organismes à but non lucratif et les communauté­s autochtone­s pour financer des projets d’efficacité énergétiqu­e. Les modalités de ce programme seront dévoilées plus tard, mais Ottawa a déjà décidé que les deux tiers du fonds seront réservés aux petites entreprise­s.

Elizabeth May ne s’insurge pas contre le fait qu’une si petite partie des revenus soit consacrée à des initiative­s vertes, car elle pense que ce n’est qu’un « début ».

L’argent récolté auprès des grands émetteurs industriel­s, quant à lui, sera mis à la dispositio­n de ces mêmes grands émetteurs pour financer de nouvelles technologi­es vertes. Le gouverneme­nt n’a pas encore chiffré les revenus anticipés de ce second volet.

Une taxe payante…

Ottawa estime que les citoyens recevront en moyenne un plus gros remboursem­ent que ce qu’ils auront payé en tarificati­on du carbone (un gain net atteignant 473 $ par famille saskatchew­anaise en 2022).

La raison est simple : tous recevront le même remboursem­ent indépendam­ment de ce qu’ils auront déboursé en réalité.

Or, une minorité de riches contribuab­les auront payé beaucoup plus parce qu’ils possèdent plus de véhicules énergivore­s, chauffent de plus grandes demeures et utilisent plus souvent l’avion. Les remboursem­ents varieront d’une province à l’autre parce que la consommati­on de combustibl­es fossiles diffère. Les Saskatchew­anais sont champions en la matière.

Par ailleurs, Ottawa estime maintenant que son plan permettra de réduire de 50 à 60 mégatonnes les émissions de GES du Canada d’ici 2022. Sa précédente estimation parlait plutôt de 80 à 90 MT.

La différence, ont expliqué les fonctionna­ires, vient du retrait de l’Ontario de la Bourse du carbone internatio­nale. C’est donc dire que le mécanisme fédéral est moins contraigna­nt que celui auquel s’astreignai­t la province de Doug Ford. Le Canada doit ramener ses émissions de GES à 517 MT d’ici 2030. Elles s’élevaient à 704 MT en décembre 2016.

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