Un port minier sur le Saguenay
Ottawa autorise ce projet de 260 millions de dollars à proximité d’une aire de conservation de l’habitat du béluga
La ministre canadienne de l’Environnement, Catherine McKenna, a décidé d’approuver la construction d’un nouveau port minier sur le Saguenay sans imposer de contraintes sur le transport maritime qui y sera associé. Ce terminal devrait pourtant entraîner une augmentation importante du trafic maritime dans le parc marin du Saguenay– Saint-Laurent, une aire de conservation mise en place pour protéger l’habitat du béluga.
Ce projet portuaire de 260 millions de dollars, un des plus importants des dernières années au Québec, comprend la construction d’un quai de 280 mètres de longueur à Sainte-Rose-du-Nord, sur la rive du Saguenay. C’est là que les vraquiers de 50 000 tonnes qui traverseront le parc marin viendront charger le minerai d’apatite qui doit être exploité dans le cadre du projet Arianne Phosphate.
Dans sa « déclaration de décision » publiée en début de soirée lundi, accompagnée d’un rapport d’analyse environnementale de 504 pages, la ministre McKenna conclut d’ailleurs que le passage de ces navires ne devrait pas entraîner « d’effet négatif cumulatif » sur le béluga, une espèce protégée par la loi fédérale sur les espèces en péril.
Le document présentant les « conditions » imposées au promoteur, l’Administration portuaire du Saguenay (APS), n’impose donc aucune contrainte précise pour le transport maritime lié au futur port minier.
Selon les données présentées par le promoteur, le « scénario maximal » d’utilisation du futur terminal équivaudrait à 140 navires par année en 2030. Un scénario qui signifie une augmentation de 60 % du trafic maritime, par rapport à la situation actuelle.
Pour le président du comité de coordination du parc marin, Émilien Pelletier, cette hausse du trafic est non négligeable.
« La question se pose : que se passerat-il si on augmente le nombre de navires ? Il faut faire preuve de prudence. Nous avons aussi le devoir de suivre de très près ce qui va se passer avec les futurs projets. Pour le parc marin, il est clair qu’il y a des préoccupations liées à l’augmentation du trafic maritime», explique-t-il.
Il faut dire que le projet de terminal approuvé par Ottawa n’est pas le seul en développement dans la région. En fait, si on ajoute les autres projets déjà évoqués, dont le terminal de gaz naturel liquéfié Énergie Saguenay, plus de 635 navires pourraient remonter le Saguenay en 2030, soit une hausse de 180 %.
« C’est une augmentation considérable du bruit dans l’habitat essentiel du béluga du Saint-Laurent. C’est un élément perturbateur majeur de plus dans leur environnement », insiste le biologiste Robert Michaud, qui étudie l’espèce dans ce secteur depuis plus de trente ans. Il déplore la décision du gouvernement d’évaluer les projets portuaires « à la pièce », alors que « ce sont les effets cumulatifs de tous ces projets » qui représentent le plus de risques pour cette espèce en voie de disparition.
Travaux de recherche
L’ironie, ajoute M. Michaud, c’est que Pêches et Océans Canada mène présentement des travaux de recherche pour mieux comprendre les impacts de la pollution sonore sur l’habitat essentiel du béluga, dont le Saguenay fait partie. En vertu de la Loi sur les espèces en péril, Ottawa a l’obligation légale de protéger cet habitat.
Le directeur général de l’APS, Carl Laberge, se veut toutefois rassurant. Il souligne notamment qu’il sera possible pour Arianne Phosphate d’utiliser des navires qui se rendent déjà aux installations de Rio Tinto Alcan, et ce, afin de réduire le nombre de passages. Un « protocole d’entente » a même été signé entre les deux entreprises « concernant le partage éventuel de services maritimes ».
« Le trafic sur le Saguenay est relativement faible actuellement, quoi qu’on en dise», ajoute M. Laberge. «Mais nous sommes très sensibles à ces questions, parce que les projets que nous avons sur le Saguenay auraient pour conséquence d’augmenter le nombre de navires». Il admet toutefois que les pouvoirs de l’APS se limitent aux infrastructures portuaires.
Le terminal proposé par l’Administration portuaire du Saguenay a été évalué uniquement par le gouvernement fédéral, même si le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) avait recommandé en 2015 la tenue d’un examen québécois du projet. Une idée rejetée à l’époque par le gouvernement de Philippe Couillard.