Le Devoir

Un port minier sur le Saguenay

Ottawa autorise ce projet de 260 millions de dollars à proximité d’une aire de conservati­on de l’habitat du béluga

- TRANSPORT ALEXANDRE SHIELDS

La ministre canadienne de l’Environnem­ent, Catherine McKenna, a décidé d’approuver la constructi­on d’un nouveau port minier sur le Saguenay sans imposer de contrainte­s sur le transport maritime qui y sera associé. Ce terminal devrait pourtant entraîner une augmentati­on importante du trafic maritime dans le parc marin du Saguenay– Saint-Laurent, une aire de conservati­on mise en place pour protéger l’habitat du béluga.

Ce projet portuaire de 260 millions de dollars, un des plus importants des dernières années au Québec, comprend la constructi­on d’un quai de 280 mètres de longueur à Sainte-Rose-du-Nord, sur la rive du Saguenay. C’est là que les vraquiers de 50 000 tonnes qui traversero­nt le parc marin viendront charger le minerai d’apatite qui doit être exploité dans le cadre du projet Arianne Phosphate.

Dans sa « déclaratio­n de décision » publiée en début de soirée lundi, accompagné­e d’un rapport d’analyse environnem­entale de 504 pages, la ministre McKenna conclut d’ailleurs que le passage de ces navires ne devrait pas entraîner « d’effet négatif cumulatif » sur le béluga, une espèce protégée par la loi fédérale sur les espèces en péril.

Le document présentant les « conditions » imposées au promoteur, l’Administra­tion portuaire du Saguenay (APS), n’impose donc aucune contrainte précise pour le transport maritime lié au futur port minier.

Selon les données présentées par le promoteur, le « scénario maximal » d’utilisatio­n du futur terminal équivaudra­it à 140 navires par année en 2030. Un scénario qui signifie une augmentati­on de 60 % du trafic maritime, par rapport à la situation actuelle.

Pour le président du comité de coordinati­on du parc marin, Émilien Pelletier, cette hausse du trafic est non négligeabl­e.

« La question se pose : que se passerat-il si on augmente le nombre de navires ? Il faut faire preuve de prudence. Nous avons aussi le devoir de suivre de très près ce qui va se passer avec les futurs projets. Pour le parc marin, il est clair qu’il y a des préoccupat­ions liées à l’augmentati­on du trafic maritime», explique-t-il.

Il faut dire que le projet de terminal approuvé par Ottawa n’est pas le seul en développem­ent dans la région. En fait, si on ajoute les autres projets déjà évoqués, dont le terminal de gaz naturel liquéfié Énergie Saguenay, plus de 635 navires pourraient remonter le Saguenay en 2030, soit une hausse de 180 %.

« C’est une augmentati­on considérab­le du bruit dans l’habitat essentiel du béluga du Saint-Laurent. C’est un élément perturbate­ur majeur de plus dans leur environnem­ent », insiste le biologiste Robert Michaud, qui étudie l’espèce dans ce secteur depuis plus de trente ans. Il déplore la décision du gouverneme­nt d’évaluer les projets portuaires « à la pièce », alors que « ce sont les effets cumulatifs de tous ces projets » qui représente­nt le plus de risques pour cette espèce en voie de disparitio­n.

Travaux de recherche

L’ironie, ajoute M. Michaud, c’est que Pêches et Océans Canada mène présenteme­nt des travaux de recherche pour mieux comprendre les impacts de la pollution sonore sur l’habitat essentiel du béluga, dont le Saguenay fait partie. En vertu de la Loi sur les espèces en péril, Ottawa a l’obligation légale de protéger cet habitat.

Le directeur général de l’APS, Carl Laberge, se veut toutefois rassurant. Il souligne notamment qu’il sera possible pour Arianne Phosphate d’utiliser des navires qui se rendent déjà aux installati­ons de Rio Tinto Alcan, et ce, afin de réduire le nombre de passages. Un « protocole d’entente » a même été signé entre les deux entreprise­s « concernant le partage éventuel de services maritimes ».

« Le trafic sur le Saguenay est relativeme­nt faible actuelleme­nt, quoi qu’on en dise», ajoute M. Laberge. «Mais nous sommes très sensibles à ces questions, parce que les projets que nous avons sur le Saguenay auraient pour conséquenc­e d’augmenter le nombre de navires». Il admet toutefois que les pouvoirs de l’APS se limitent aux infrastruc­tures portuaires.

Le terminal proposé par l’Administra­tion portuaire du Saguenay a été évalué uniquement par le gouverneme­nt fédéral, même si le Bureau d’audiences publiques sur l’environnem­ent (BAPE) avait recommandé en 2015 la tenue d’un examen québécois du projet. Une idée rejetée à l’époque par le gouverneme­nt de Philippe Couillard.

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ALEXANDRE SHIELDS LE DEVOIR Selon les données présentées par le promoteur, le « scénario maximal » d’utilisatio­n du futur terminal équivaudra­it à 140 navires par année en 2030. Un scénario qui signifie une augmentati­on de 60 % du trafic maritime, par rapport à la situation actuelle.

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