Le Devoir

L’heure du réveil

- ROBERT DUTRISAC

Nouvelleme­nt assermenté comme premier ministre du Québec, François Legault a reconnu que la Coalition avenir Québec avait trop peu parlé d’environnem­ent durant la campagne électorale. Il a dit avoir pris acte des commentair­es des citoyens. Or pour un gouverneme­nt, réagir à l’opinion publique est une chose, agir avec déterminat­ion et cohérence en est une autre.

Bien que tardif, ce réveil — osons espérer qu’il s’agit d’une prise de conscience — est évidemment le bienvenu. Il était incongru qu’un parti aspirant au pouvoir au Québec fasse l’impasse sur cet enjeu crucial. En matière de réduction des gaz à effet de serre (GES) — le premier ministre n’a abordé que cette dimension de la question —, François Legault a promis de « poser des gestes » et d’« agir de façon pragmatiqu­e », un qualificat­if qu’il chérit, afin d’atteindre des résultats. C’est en soi une bonne nouvelle parce que, trop souvent, les stratégies visant la protection de l’environnem­ent et la lutte contre le réchauffem­ent climatique édictent des cibles sans trop se soucier des moyens à prendre pour obtenir des résultats concrets.

Ainsi, le Plan d’action 2013-2020 sur les changement­s climatique­s du gouverneme­nt Couillard a fixé l’objectif de réduire de 20 %, par rapport à 1990, les émissions de GES d’ici 2020. Or à deux ans de l’échéance, le Québec est en voie de rater sa cible de beaucoup. Le gouverneme­nt Legault doit nous dire ce qu’il entend faire.

Il faut saluer l’intention exprimée par le premier ministre de revoir la gestion du Fonds vert, dans lequel transitent quelque 4 milliards et dont une partie des sommes a été dilapidée pour financer des projets qui ont eu peu d’impact.

Mais l’enjeu de l’environnem­ent ne s’arrête pas aux changement­s climatique­s, bien qu’ils représente­nt la menace la plus sourde et, sans doute, la plus difficile à contrer compte tenu de son envergure planétaire.

Dans son livre publié en 2013 et intitulé Cap sur un Québec gagnant. Le Projet Saint-Laurent, François Legault s’inquiétait de la qualité de l’eau du fleuve et du fait que les municipali­tés, dont Montréal, y déversent encore des eaux usées sans traitement et qu’il subisse la pollution en provenance des terres agricoles. Ce sont des chantiers qui nécessiter­ont des investisse­ments de plusieurs milliards de dollars.

François Legault devra aussi nous dire où il loge au regard de la protection de la biodiversi­té, un enjeu dont l’ampleur ira en grandissan­t. Cela englobe l’utilisatio­n des pesticides, l’exploitati­on forestière, la protection des milieux humides, la création d’aires protégées. À cet égard, le Québec ne fait pas figure d’exemple. On n’a qu’à penser à la pouponnièr­e de bélugas à Cacouna, toujours menacée par un projet de port, à l’exterminat­ion des caribous forestiers ou au promoteur qui avait obtenu l’autorisati­on d’assécher l’habitat d’une espèce d’amphibien en péril.

À ce jour, la CAQ n’a pas semblé sensible à ce type de préoccupat­ions. En campagne électorale, sa candidate dans Bertrand, Nadine Girault, maintenant élue, a même promis d’ouvrir le parc national du Mont-Tremblant à la motoneige, comme si les motoneigis­tes, dont l’activité s’avère des plus polluantes et perturbatr­ices pour la faune, manquaient de sentiers au Québec.

François Legault, qui a affirmé sur le tard sa « sincère préoccupat­ion pour les défis environnem­entaux », ne fait pas preuve de la plus grande cohérence : agrandisse­ments d’autoroutes, troisième lien à Québec, préjugé favorable à l’égard de l’exploitati­on des hydrocarbu­res, mais aussi engagement pour l’électrific­ation des transports et pour le développem­ent du transport en commun.

Dans son discours d’assermenta­tion, le premier ministre s’est vanté d’avoir « une équipe économique de rêve », qui se déploie non seulement aux Finances et à l’Économie, mais dans chacun des ministères, qu’il a presque tous nommés.

Nous croyons qu’il devrait en être de même de l’Environnem­ent, un portefeuil­le transversa­l qui touche la presque totalité des activités de l’État et de la société. On ne peut plus concevoir l’aménagemen­t du territoire — et son corollaire, l’étalement urbain — sans qu’il soit guidé par la protection de l’environnem­ent, ni l’agricultur­e, ni la forêt, ni la santé publique, ni le développem­ent économique, en général.

Eu égard aux défis que représente­nt les changement­s climatique­s et les menaces à la biodiversi­té, la protection de l’environnem­ent doit être au centre de l’action gouverneme­ntale. Et puisqu’il suppose un profond changement dans les habitudes et le mode de vie des citoyens, cet enjeu de société, car c’en est devenu un, doit faire l’objet d’une mobilisati­on nationale que seul un gouverneme­nt volontaire — et sincère — peut lancer.

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