Le Devoir

On ne naît pas Québécois, mais on le devient

- Marco Micone Écrivain

On ne naît pas Québécois, on le devient. Naître au Québec ne suffit pas. Une personne née ici, qui vivra toute sa vie ailleurs, n’aura de Québécois que le certificat de naissance. Un immigrant, par contre, arrivé au Québec, à n’importe quel âge, ne pourra éviter un processus d’acculturat­ion dont la durée et l’issue dépendent autant des raisons du départ que de la qualité de l’accueil. C’est en vivant au Québec qu’on devient Québécois.

Les immigrants, contrairem­ent à ce que trop de Québécois pensent, ne demandent qu’à s’intégrer à leur nouvelle société. On ne quitte pas son pays d’origine pour vivre dans l’isolement et l’exclusion. Pour les immigrants, s’intégrer ne veut rien dire d’autre que prendre les moyens de bénéficier de ce que la société a à offrir aux plans économique, social et culturel et, en retour, apporter leur contributi­on dans ces mêmes domaines. Ils ne se font toutefois pas d’illusions, ils savent qu’émigrer est une mer houleuse qu’on traverse à la nage.

Les immigrants sont soudaineme­nt devenus une menace, alors qu’on a toujours eu besoin d’eux pour des raisons économique­s et démographi­ques. On émigre pour échapper à la fatalité de la naissance et dans l’espoir, souvent déçu, d’améliorer les conditions d’existence, tout comme les 900 000 Québécois qui, il y a environ un siècle, s’en allèrent ourdir leur destin dans les filatures étatsunien­nes. Ni le renverseme­nt du devoir d’intégratio­n ni le renoncemen­t à soi des francophon­es d’héritage canadien-français — tant redoutés par les nationalis­tes conservate­urs — ne font partie du projet des immigrants qui choisissen­t les Québec, et y restent, dans une proportion de près de 80 %.

Un idéal à partager

Selon une récente enquête d’opinion, plus de la moitié ( 54 %) de la population québécoise estime que les immigrants sont mal intégrés. Pourtant, tous se soumettent à nos lois, pendant que la majorité d’entre eux a un emploi et parle français. Ce n’est pas tenir compte non plus de l’attrait qu’une société pacifique et prospère comme la nôtre exerce sur ces gens venus d’ailleurs et du puissant facteur d’intégratio­n que représente­nt, pour leurs parents, les enfants qui sont tous scolarisés en français.

Ce sondage ne nous apprend rien sur la réalité de l’intégratio­n. Il ne fait que révéler jusqu’à quel point l’immigrant, porteur de différence, est source d’angoisse pour des population­s insécurisé­es. Le plus grand exploit de la droite xénophobe, partout en Occident, a été, depuis au moins deux décennies, de faire passer la vulnérabil­ité du camp des immigrants à celui des pays d’immigratio­n.

Les fausses perception­s concernant l’intégratio­n des immigrants sont dues à un certain sensationn­alisme médiatique, se traduisant par la prépondéra­nce accordée aux aspects problémati­ques de l’immigratio­n. Au fait qu’il n’y a pas suffisamme­nt de pédagogie sur cette question. Et à l’instrument­alisation, aussi délétère que cynique, qu’en font certains politiques. Elles résultent aussi de quelques malentendu­s. Ainsi, pour beaucoup de souveraini­stes, un immigrant n’est vraiment intégré que s’il partage leur idéal (ce qui exclut aussi bon nombre de francophon­es), tandis qu’aux yeux d’une féministe, il est impossible qu’une musulmane voilée puisse être intégrée, sauf si celle-ci, bien sûr, se dévoue corps et âme pour sa progénitur­e dans un centre de la petite enfance.

D’autres voient, dans les quartiers à forte concentrat­ion d’immigrants, une autre preuve de non-intégratio­n sans tenir compte du fait que, la plupart du temps, les adultes en sortent pour le travail et les enfants pour l’école. Et tous ces allophones scolarisés en anglais, en toute légalité — avant et après la loi 101 — qui utilisent, selon les situations, l’anglais ou le français comme langue de communicat­ion, sont-ils mal intégrés eux aussi ? Un argument qui a fait la fortune du parti au pouvoir, pendant la dernière campagne électorale, concerne le seuil d’immigratio­n. On a laissé entendre que moins d’immigrants égalent une meilleure intégratio­n.

Or, selon Victor Piché, de l’Université de Montréal, qui s’appuie sur des études scientifiq­ues récentes, les difficulté­s d’intégratio­n économique sont essentiell­ement dues à l’évolution du marché du travail et à la discrimina­tion et non pas au nombre d’immigrants. En outre, la notion de seuil d’immigratio­n n’a aucun fondement scientifiq­ue, comme l’a démontré le sociologue François Héran, du Collège de France. Deux exemples suffisent pour nous en convaincre: l’Allemagne, récemment, et la France, au début des années soixante, ont accueilli près d’un million d’immigrants. Le seuil varie surtout selon le niveau de xénophobie ou d’ouverture. Dans une situation de pénurie de main-d’oeuvre, comme celle que nous connaisson­s au Québec, il serait plus sage d’abaisser le niveau de xénophobie que celui de l’immigratio­n.

Une richesse à prendre

Il y a deux sortes d’immigrants : ceux qui sont intégrés et ceux qui sont en voie de l’être. Ces derniers ne veulent surtout pas d’une intégratio­n au rabais, eux dont 39% détiennent un diplôme universita­ire contre seulement 21% pour les francophon­es. Il faut sans plus tarder faciliter la reconnaiss­ance de leurs diplômes et compétence­s en plus d’améliorer les programmes d’enseigneme­nt du français pour les immigrants adultes.

Il est inadmissib­le qu’on se prive d’une telle richesse. S’ils ont choisi le Québec, c’est pour sa qualité d’accueil, aussi imparfaite soit-elle, et pour les valeurs qui fondent notre société, sachant que celles-ci sont idéales dans leur conception et relatives dans leur applicatio­n, condition sine qua non pour un vivre-ensemble respectueu­x. Dans une société pluraliste comme la nôtre, « la démocratie n’est rien d’autre que l’orchestrat­ion de la mésentente », estimait Machiavel.

Une question, cependant, taraude ces nouveaux citoyens qui voient autour d’eux une marée de chômeurs, d’assistés sociaux et de petits salariés francophon­es. Faut-il les considérer comme étant intégrés du seul fait qu’ils parlent français ? Ne sont-ils pas des exclus ? On ne naît donc pas Québécois, mais on peut naître exclu et donner, parfois, l’exclusion en héritage. peut justifier une pareille soumission. Dans la bouche de Manon Massé, comme dans celle de bien d’autres avant elle, ce rituel est tantôt antidémocr­atique, tantôt une farce… s’il faut absolument s’y soumettre pour entrer dans la « maison du peuple », que penser de ce qui s’y déroule ensuite ? Et si le cynisme, dont on nous rabat les oreilles et qui serait la cause du désenchant­ement pour la politique, si le cynisme débutait tout simplement là, dans ce premier reniement de la parole donnée ? Et si la confusion et le désintérêt du «monde ordinaire », dont Guy Nantel fait ses choux gras, procédaien­t d’abord de ce comporteme­nt ? Élu par le peuple, il faut d’abord lui tourner le dos pour ensuite lui déclarer solennelle­ment sa loyauté, à lui et à sa constituti­on (laquelle, au fait ?) : une chatte y perdrait ses petits !

Défier les rites et règlements iniques exige du courage, mais quand même pas davantage que celui demandé à Rosa Park, par exemple. Et pourtant, le geste est de même nature parce que la soumission est toujours abjecte, fondée sur des critères de races, de langues, de religions…

Je crois que le racisme est au fondement de ce système parlementa­ire, qu’il est, ici, proprement systémique. Pas besoin de commission d’enquête pour le révéler : arrêtons de jurer fidélité à la reine et voyons voir ce qui va se produire.

Je le dis pour que vraiment nous arrivions à ce qui commence, au lieu de sans cesse revenir pour revenir.

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ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR Si les immigrants ont choisi le Québec, c’est pour sa qualité d’accueil, si imparfaite soit-elle.

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