Des « actes de terreur » alimentés par la rhétorique trumpiste
L’agressivité du président américain inspire les gestes de violence, soulignent des experts
Si on ne savait rien lundi du ou des auteurs des « actes de terreur » qui ont ciblé des personnalités bien en vue du Parti démocrate et le réseau CNN, plusieurs y voient déjà la résultante de la rhétorique persistante du président Donald Trump. Et rien n’indique qu’il serait enclin à changer de ton face à ses adversaires politiques, malgré la dégradation du climat politique aux États-Unis.
Président de l’Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand, Charles-Philippe David ne s’étonne pas de la tournure des événements en sol américain, à deux semaines des élections de mi-mandat, mais aussi près de deux ans après l’élection du milliardaire républicain Donald Trump au poste de président des États-Unis.
« Ça ne me surprend pas. Le climat politique est tellement délétère, hautement toxique et très polarisé aux ÉtatsUnis, avec ce président pour le moins atypique », résume-t-il.
M. David le dit et le répète : Donald Trump est un véritable « pyromane » de la politique. « Dans toutes les catégories, nous avons affaire à un président qui dépasse tous les sommets de la politique sale. »
À maintes reprises, au fil des mois, des discours, des déclarations et des tweets, il a d’ailleurs multiplié les propos incendiaires contre les démocrates, ou encore les médias. « À la moindre occasion, et de façon totalement intempestive et grotesque, il attaque ses adversaires politiques. Il est constamment en train de vouloir désigner des coupables pour tout et rien », souligne Charles-Philippe David.
À plusieurs occasions, il s’en est pris ouvertement à Hillary Clinton, à qui était destinée une des bombes artisanales découvertes au cours des dernières heures. Trump l’a souvent accusée d’être « malhonnête », en plus de répéter, lors de la campagne de 2016, qu’elle devrait être carrément emprisonnée.
Il s’en est aussi pris à son mari et exprésident Bill Clinton, insinuant que celui-ci avait « agressé des femmes ». M. Trump a en outre remis en question le fait que l’ancien président Barack Obama était né en sol américain. Un des colis suspects lui était destiné.
On ne compte par ailleurs plus les attaques virulentes contre les médias, dont le réseau CNN, accusé de diffuser des « fake news » (fausses informations). Le média américain a dû être évacué de toute urgence mercredi, après la découverte d’un engin « potentiellement destructeur » envoyé à ses bureaux de New York.
Bref, souligne M. David, le président a de toute évidence semé les germes qui ont pu mener à ces « actes de terreur ». « Il n’est pas conscient qu’il est lui-même responsable, en bonne partie, de l’aggravation du climat politique aux États-Unis. Il a été un accélérateur puissant du développement de la haine politique. »
Titulaire de la Chaire UNESCO en prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violents à l’Université de Sherbrooke, David Morin constate lui aussi que ces événements « se déroulent dans le contexte d’une très forte polarisation sur le plan politique aux États-Unis, qui s’est publiquement cristallisée depuis l’élection de M. Trump ».
« Plus récemment, l’affaire du juge Kavanaugh et l’approche des élections de mi-mandat, où les démocrates pourraient l’emporter, ajoutent à ces tensions sociétales. Ces colis piégés contribuent à accentuer le climat de tension extrême et de suspicion, voire de peur, qui caractérise le débat politique américain aujourd’hui », ajoute M. Morin.
Terrorisme intérieur
Dans ce contexte, peut-on s’attendre à un changement de ton du président ? « Non », répond Charles-Philippe David.
«Il n’agit pas comme une autorité morale, alors que c’est très important lorsqu’on est le président des ÉtatsUnis, particulièrement dans les moments difficiles. Les anciens présidents nous ont montré cela à plusieurs reprises, tant les républicains que les démocrates. Trump, au contraire, n’a jamais quitté son rôle de politicien en campagne électorale. C’est frappant. »
Difficile, cependant, de voir qui pourrait être à l’origine de ces colis piégés.
« Sans présumer des motivations dans ce cas précis, si les regards se tournent vers l’extrême droite, c’est que les ÉtatsUnis ont une longue histoire de terrorisme intérieur et de violence politique, notamment liée, d’une part, à l’extrême droite et, d’autre part, aux mouvements antigouvernementaux », explique M. Morin.
« Les colis piégés, ici artisanaux, semble-t-il, sont un modus operandi bien connu dans ce pays. On l’a vu au Texas l’an passé ou avec la ricine auparavant, pour ne citer que ces exemples », ajoute-t-il.
Dans ce contexte, selon M. David, la question qui se pose maintenant est simple : « Est-ce qu’on ne risque pas de voir de nouveau des événements comme ceux-là, voire pire ? »