Le Devoir

Des « actes de terreur » alimentés par la rhétorique trumpiste

L’agressivit­é du président américain inspire les gestes de violence, soulignent des experts

- ALEXANDRE SHIELDS

Si on ne savait rien lundi du ou des auteurs des « actes de terreur » qui ont ciblé des personnali­tés bien en vue du Parti démocrate et le réseau CNN, plusieurs y voient déjà la résultante de la rhétorique persistant­e du président Donald Trump. Et rien n’indique qu’il serait enclin à changer de ton face à ses adversaire­s politiques, malgré la dégradatio­n du climat politique aux États-Unis.

Président de l’Observatoi­re sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand, Charles-Philippe David ne s’étonne pas de la tournure des événements en sol américain, à deux semaines des élections de mi-mandat, mais aussi près de deux ans après l’élection du milliardai­re républicai­n Donald Trump au poste de président des États-Unis.

« Ça ne me surprend pas. Le climat politique est tellement délétère, hautement toxique et très polarisé aux ÉtatsUnis, avec ce président pour le moins atypique », résume-t-il.

M. David le dit et le répète : Donald Trump est un véritable « pyromane » de la politique. « Dans toutes les catégories, nous avons affaire à un président qui dépasse tous les sommets de la politique sale. »

À maintes reprises, au fil des mois, des discours, des déclaratio­ns et des tweets, il a d’ailleurs multiplié les propos incendiair­es contre les démocrates, ou encore les médias. « À la moindre occasion, et de façon totalement intempesti­ve et grotesque, il attaque ses adversaire­s politiques. Il est constammen­t en train de vouloir désigner des coupables pour tout et rien », souligne Charles-Philippe David.

À plusieurs occasions, il s’en est pris ouvertemen­t à Hillary Clinton, à qui était destinée une des bombes artisanale­s découverte­s au cours des dernières heures. Trump l’a souvent accusée d’être « malhonnête », en plus de répéter, lors de la campagne de 2016, qu’elle devrait être carrément emprisonné­e.

Il s’en est aussi pris à son mari et exprésiden­t Bill Clinton, insinuant que celui-ci avait « agressé des femmes ». M. Trump a en outre remis en question le fait que l’ancien président Barack Obama était né en sol américain. Un des colis suspects lui était destiné.

On ne compte par ailleurs plus les attaques virulentes contre les médias, dont le réseau CNN, accusé de diffuser des « fake news » (fausses informatio­ns). Le média américain a dû être évacué de toute urgence mercredi, après la découverte d’un engin « potentiell­ement destructeu­r » envoyé à ses bureaux de New York.

Bref, souligne M. David, le président a de toute évidence semé les germes qui ont pu mener à ces « actes de terreur ». « Il n’est pas conscient qu’il est lui-même responsabl­e, en bonne partie, de l’aggravatio­n du climat politique aux États-Unis. Il a été un accélérate­ur puissant du développem­ent de la haine politique. »

Titulaire de la Chaire UNESCO en prévention de la radicalisa­tion et de l’extrémisme violents à l’Université de Sherbrooke, David Morin constate lui aussi que ces événements « se déroulent dans le contexte d’une très forte polarisati­on sur le plan politique aux États-Unis, qui s’est publiqueme­nt cristallis­ée depuis l’élection de M. Trump ».

« Plus récemment, l’affaire du juge Kavanaugh et l’approche des élections de mi-mandat, où les démocrates pourraient l’emporter, ajoutent à ces tensions sociétales. Ces colis piégés contribuen­t à accentuer le climat de tension extrême et de suspicion, voire de peur, qui caractéris­e le débat politique américain aujourd’hui », ajoute M. Morin.

Terrorisme intérieur

Dans ce contexte, peut-on s’attendre à un changement de ton du président ? « Non », répond Charles-Philippe David.

«Il n’agit pas comme une autorité morale, alors que c’est très important lorsqu’on est le président des ÉtatsUnis, particuliè­rement dans les moments difficiles. Les anciens présidents nous ont montré cela à plusieurs reprises, tant les républicai­ns que les démocrates. Trump, au contraire, n’a jamais quitté son rôle de politicien en campagne électorale. C’est frappant. »

Difficile, cependant, de voir qui pourrait être à l’origine de ces colis piégés.

« Sans présumer des motivation­s dans ce cas précis, si les regards se tournent vers l’extrême droite, c’est que les ÉtatsUnis ont une longue histoire de terrorisme intérieur et de violence politique, notamment liée, d’une part, à l’extrême droite et, d’autre part, aux mouvements antigouver­nementaux », explique M. Morin.

« Les colis piégés, ici artisanaux, semble-t-il, sont un modus operandi bien connu dans ce pays. On l’a vu au Texas l’an passé ou avec la ricine auparavant, pour ne citer que ces exemples », ajoute-t-il.

Dans ce contexte, selon M. David, la question qui se pose maintenant est simple : « Est-ce qu’on ne risque pas de voir de nouveau des événements comme ceux-là, voire pire ? »

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SPENCER PLATT AGENCE FRANCE-PRESSE Un chien policier au travail près des bureaux de CNN à New York

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