Le Devoir

Le lobby du Sénat

- JEAN-ROBERT SANSFAÇON

Il ne fallait pas être devin pour prévoir que l’entrée en vigueur des baisses d’impôt pour les entreprise­s américaine­s, en janvier dernier, allait donner un prétexte à tous les lobbies canadiens de la droite pour revendique­r un traitement encore plus privilégié de la part des gouverneme­nts. Il ne se passe pas une semaine sans que l’on assiste à la publicatio­n d’une analyse ou d’un rapport en ce sens, le dernier en date étant celui du Comité permanent des banques et du commerce du Sénat, à Ottawa.

Dès janvier dernier, le Comité se donnait lui-même pour mandat d’étudier la question de la compétitiv­ité des entreprise­s canadienne­s sur les marchés mondiaux. Présidé par le sénateur Doug Black, fondateur de l’Energy Policy Institute of Canada de Calgary, le Comité a remis son rapport d’une trentaine de pages le mois dernier, lequel propose un allégement urgent de l’impôt des entreprise­s, de la réglementa­tion, et la création d’une commission royale d’enquête pour revoir la fiscalité, jugée désavantag­euse par rapport à celle des États-Unis de Donald Trump.

Faute de compétence­s particuliè­res, le Comité a entendu une dizaine d’experts et une quinzaine d’organismes, dont au moins cinq représenta­nts de l’industrie pétrolière.

Pour cette industrie dont le rapport utilise largement l’analyse, les modificati­ons fiscales et la déréglemen­tation environnem­entale auxquelles on assiste chez nos voisins « nuiront aux grands investisse­ments de capitaux au Canada ». Ce à quoi le Fraser Institute et sa filiale l’Institut économique de Montréal — qui refusent tous deux de publier la liste de leurs commandita­ires — font écho en répétant que « nous sommes en train de perdre notre avantage [et] il serait tout à fait à propos d’adopter des mesures immédiates ».

Rappelons ici qu’entre 2001 et 2015, libéraux et conservate­urs fédéraux ont fait passer l’impôt sur les profits de 28 % à 15 %, un mouvement qui a été suivi par les provinces. Or, dans sa plus récente analyse de la conjonctur­e canadienne publiée en début de semaine, le directeur parlementa­ire du budget, à Ottawa, prévoit que « la Tax Cut and Jobs Act des États-Unis n’aura pas de répercussi­ons notables sur le climat d’investisse­ment au Canada ». D’abord parce que la mesure de déduction totale et immédiate des dépenses d’investisse­ment qui permet aux sociétés de dégager des profits plus élevés à court terme disparaîtr­a progressiv­ement après quelques années d’applicatio­n. Ensuite, et surtout, parce que « les décisions d’investisse­ment reposent sur bien d’autres facteurs que le taux d’imposition », tels « l’accès au marché, un cadre juridique et réglementa­ire prévisible et non discrimina­toire, une stabilité macroécono­mique, un marché du travail spécialisé et adaptable et des infrastruc­tures bien développée­s ».

Au chapitre des lois et règlements, le comité du Sénat y va de propositio­ns d’apparence inoffensiv­e qui masquent pourtant bien mal l’objectif de favoriser l’exploitati­on des hydrocarbu­res : amortissem­ent accéléré des investisse­ments, simplifica­tion des études d’impact, « clarificat­ion » des règles de consultati­on des Autochtone­s, etc. Car, pour les sénateurs, « les circonstan­ces qui ont mené à la récente décision concernant l’expansion de l’oléoduc TransMount­ain sont inacceptab­les » et exigent de « réparer les dommages qui ont été causés ». Comme si l’achat du pipeline au coût de 4,5 milliards n’était pas déjà trop !

Au Canada, depuis 2001, les recettes tirées de la TPS, de l’impôt sur les profits des entreprise­s et des revenus des particulie­rs ont toutes les trois diminué en proportion du PIB. Si, malgré cela, Ottawa a pu maintenir ses dépenses sans augmenter le ratio de la dette au PIB, c’est grâce à l’importante baisse des taux d’intérêt. Alors qu’il fallait consacrer 37 ¢ par dollar de recettes fiscales au service de la dette en 1990, ce poste de dépense accapare seulement 7 ¢ par dollar aujourd’hui. Avant de réduire encore l’impôt des entreprise­s, notamment celui des sociétés pétrolière­s, il faudrait se demander s’il n’y a pas d’autres priorités plus urgentes au pays.

Depuis que les libéraux ont choisi de procéder à des nomination­s indépendan­tes au Sénat, les commentate­urs ont été trop cléments à l’endroit de ces honorables bénéficiai­res d’amitiés politiques passées. Des élites qui n’ont d’honorable que le titre et d’indépendan­t que la prétention. Car, grâce à ce statut d’indépendan­ts, ils se sont éloignés des partis élus par le peuple pour se rapprocher des groupes de pression qui les courtisent.

Ce dernier rapport du comité des notables du Sénat jette une pierre de plus sur la tombe de l’institutio­n la moins démocratiq­ue et la plus superflue du régime parlementa­ire britanniqu­e.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada