Le Devoir

Comment rouvrir la Constituti­on canadienne

- André Binette Constituti­onnaliste et auteur de La fin de la monarchie au Québec (Éditions du Renouveau québécois, 2018)

En 1998, dans un jugement majeur appelé le Renvoi relatif à la sécession du Québec, la Cour suprême a créé une obligation juridique de négocier de bonne foi toute modificati­on constituti­onnelle demandée par l’Assemblée nationale. Contrairem­ent à une opinion répandue, cette obligation n’est pas liée au seul cas de l’accession à l’indépendan­ce et ne requiert aucun référendum.

Voici le passage pertinent du Renvoi, qui se trouve au paragraphe 88 : « La modificati­on de la Constituti­on commence par un processus politique entrepris en vertu de la Constituti­on ellemême. Au Canada, l’initiative en matière de modificati­on constituti­onnelle relève de la responsabi­lité des représenta­nts démocratiq­uement élus des participan­ts à la Confédérat­ion. Pour ces représenta­nts, le signal peut être donné par un référendum mais, en termes juridiques, le pouvoir constituan­t au Canada, comme dans bien d’autres pays, appartient aux représenta­nts du peuple élus démocratiq­uement. La tentative légitime, par un participan­t de la Confédérat­ion, de modifier la Constituti­on a pour corollaire l’obligation faite à toutes les parties de venir à la table des négociatio­ns. »

Les participan­ts à la Confédérat­ion sont pour la Cour suprême les assemblées législativ­es fédérale et provincial­es. Dans l’état actuel de la jurisprude­nce, ils ne comprennen­t pas les Premières Nations ni les territoire­s du Nord canadien. Cependant, ceux-ci peuvent légitimeme­nt s’attendre à être consultés.

L’unique condition pour déclencher l’obligation de négocier est une résolution de l’Assemblée nationale qui demande des modificati­ons précises à la Constituti­on. En fait, l’Assemblée nationale détient le pouvoir de rouvrir la Constituti­on depuis 20 ans, mais elle a choisi jusqu’ici de ne pas se prévaloir de cette possibilit­é. Les gouverneme­nts libéraux au pouvoir pendant près de 15 ans depuis 2003 n’ont pas démontré une volonté réelle d’agir sur ce plan. De leur côté, les gouverneme­nts péquistes de Lucien Bouchard et de Pauline Marois n’ont pas voulu envisager de se prévaloir de l’obligation de négocier dans un contexte autre que l’indépendan­ce.

Une résolution de l’Assemblée nationale peut être adoptée par une simple majorité parlementa­ire. Elle aura plus de poids si elle recueille l’appui d’un plus grand nombre de députés. L’unanimité n’est pas requise, mais il est préférable dans une résolution de cette nature de tenter de s’en rapprocher afin de démontrer un consensus dans notre société.

L’obligation de négocier de bonne foi est une notion empruntée au droit du travail. Elle n’équivaut pas à une obligation de s’entendre, mais elle impose des efforts sincères et démontrés pour arriver à une entente. La sanction d’un échec est de nature politique.

Une réforme est possible

Contrairem­ent à l’avis de Pierre Elliott Trudeau, pour qui le simple écoulement du temps imposerait le statu quo, le peuple québécois n’a jamais renoncé à renforcer son autonomie. Les deux référendum­s sur la souveraine­té ont suivi l’échec de négociatio­ns constituti­onnelles qui, elles, n’ont pas toujours été menées de bonne foi. La préférence majoritair­e des Québécois semble être l’autonomie croissante dans le cadre canadien, tout en faisant évoluer ce dernier. Il est faux de dire que la Constituti­on canadienne ne peut être réformée tant qu’on ne se sera pas prévalu au moins une fois de l’obligation de négocier.

Les sujets pouvant faire l’objet de la résolution de l’Assemblée nationale sont nombreux. D’après tous les sondages pertinents depuis des décennies, il existe un large consensus au Québec pour abolir la monarchie. L’Assemblée nationale pourrait demander le passage à la république pour le Canada et pour le Québec. Le lieutenant-gouverneur pourrait être remplacé par un gouverneur du Québec désigné par l’Assemblée nationale ou élu par le peuple québécois.

La résolution pourrait aussi demander des pouvoirs accrus en matière d’immigratio­n, de langue et de culture, de protection de l’environnem­ent et de fiscalité (par exemple, une déclaratio­n de revenus unique). Elle pourrait aussi demander que le Québec soit exempté de l’article 27 de la Charte canadienne, qui oblige les tribunaux à favoriser le multicultu­ralisme dans leur interpréta­tion des droits fondamenta­ux.

La résolution devrait être accompagné­e de la mise en place d’une Constituti­on formelle du Québec. L’abolition de la monarchie permettrai­t aux députés de prêter serment à la seule Constituti­on du Québec.

Enfin, la résolution de l’Assemblée nationale pourrait demander la modificati­on de la Constituti­on canadienne pour reconnaîtr­e le droit des Premières Nations à l’autonomie gouverneme­ntale. Cette reconnaiss­ance aurait pour principal effet de conduire à l’abrogation de la Loi sur les Indiens. Le Québec démontrera­it ainsi une sagesse et une intelligen­ce politiques qui lui permettrai­ent de reprendre une position de tête dans la définition des rapports de nation à nation avec les peuples autochtone­s. On éviterait aussi que les demandes du Québec soient opposées à celles des peuples autochtone­s, comme cela fut le cas dans le passé.

Contrairem­ent à l’avis de Pierre Elliott Trudeau, pour qui le simple écoulement du temps imposerait le statu quo, le peuple québécois n’a jamais renoncé à renforcer son autonomie

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