Le Devoir

Une Banque du Canada qui vous veut du bien

Le temps serait venu de se soucier plus de la productivi­té, dit sa première sous-gouverneur­e, Carolyn Wilkins

- ÉRIC DESROSIERS

La Banque du Canada ne perd pas de vue la réalité des ménages canadiens, notamment des plus endettés, assure sa première sous-gouverneur­e, Carolyn Wilkins. Et c’est pour cette raison qu’elle multiplie les mises en garde sur les hausses des taux d’intérêt à venir.

« Nous suivons de très, très près l’évolution de la situation des ménages et l’impact de nos politiques sur eux », a-t-elle déclaré en entrevue au Devoir dans les bureaux montréalai­s de la banque centrale, coin McGill College et Sainte-Catherine. Quelques heures auparavant, la Banque du Canada avait annoncé la remontée de son taux directeur de 0,25 point de pourcentag­e à 1,75 %, son niveau le plus élevé depuis la Grande Récession. Elle avait réintégré également son intention de ramener son principal outil d’interventi­on à un niveau estimé plus neutre situé dans une fourchette allant de 2,50 % à 3,50 %.

« On sait bien que ce ne sera pas facile de s’adapter, surtout pour les plus endettés. Cela a déjà commencé. Des gens doivent réduire leurs dépenses. Cela a aussi eu un impact sur les prix immobilier­s. Le premier réflexe est de voir cela comme une mauvaise nouvelle pour les familles, mais il faut aussi se demander ce qui arriverait à long terme si on laissait plus longtemps les taux à des niveaux qui devaient servir à sortir l’économie de la crise. C’est l’une des raisons pour lesquelles on cherche à être le plus clair possible sur la direction dans laquelle on va. »

L’épine commercial­e

La Banque du Canada se sent plus à l’aise depuis la conclusion de l’Accord ÉtatsUnis–Mexique–Canada (AEUMC) au début du mois. L’entente commercial­e contribue à lever une grande partie de l’incertitud­e qui empêchait plusieurs entreprise­s d’investir dans le développem­ent de leurs capacités de production qui fonctionne­nt de plus en plus à leur limite. «C’est une bonne nouvelle, mais cela n’enlève pas toute l’incertitud­e», remarque Carolyn Wilkins. Il faut encore attendre de voir si l’accord de principe sera officielle­ment signé et comment cela se traduira concrèteme­nt dans les échanges entre les trois pays. Et puis, le gouverneme­nt Trump n’a toujours par levé ses tarifs sur l’acier et l’aluminium en plus d’être au beau milieu d’une escalade de sanctions commercial­es avec la Chine.

La Banque du Canada a revu à la hausse la contributi­on attendue du secteur des exportatio­ns canadienne­s, mais ses succès futurs dépendront de bien d’autres facteurs. Les milieux d’affaires pressent notamment Ottawa de suivre au moins partiellem­ent les baisses d’impôt sur les entreprise­s décrétées l’automne dernier par Washington pour les aider à se battre contre leurs concurrent­s américains. Carolyn Wilkins fait toutefois aussi valoir que les exportateu­rs canadiens perdaient déjà du terrain aux États-Unis bien avant les tarifs et les baisses d’impôt de Donald Trump. « On a un défi de compétitiv­ité depuis bien des années. »

La prochaine crise

Tout en précisant, ne pas voir pour le moment poindre la menace d’une récession, le gouverneur de la Banque du Canada, Stephen Poloz, a admis en entrevue à La Presse canadienne mercredi que son institutio­n ne disposerai­t pas d’autant de munitions. « C’est une question difficile, a-t-il dit. C’est certain que la politique monétaire n’est pas vraiment bien équipée pour faire face à une autre récession parce que les taux d’intérêt sont encore très bas, mais en même temps [le gouverneme­nt fédéral] est très bien équipé pour faire face à une récession [étant donné sa situation financière]. »

Carolyn Wilkins préfère souligner comment son institutio­n et les gouverneme­nts se sont bien complétés la dernière fois et rappelle que la Grande Récession a aussi montré que les banques centrales disposaien­t d’autres moyens d’action que les seuls taux d’intérêt, comme l’achat massif d’actifs financiers.

La sous-gouverneur­e avait plutôt envie, mercredi, de parler de ce qu’on pourrait faire avant qu’une autre crise éclate. « On s’est beaucoup occupés à améliorer la stabilité financière des banques, mais on aurait aussi des progrès à faire [en matière] de productivi­té, c’est-à-dire notre capacité de continuer de croître de façon soutenable. C’est important parce que c’est le moyen d’augmenter la taille de la tarte que les gens se partageron­t. »

Disant comprendre sans toutefois partager la tentation du protection­nisme et du populisme, elle admet qu’il n’est pas facile de s’attaquer à de tels enjeux structurau­x qui touchent entre autres à l’éducation et aux infrastruc­tures. « Tout le monde n’est pas d’accord sur les solutions. Cela peut soulever beaucoup de débats. Mais c’est exactement le moment de le faire. »

Mercredi, les analystes et commentate­urs se sont passionnés sur le sens qu’il fallait donner au retrait d’un mot — le mot « graduelle » — dans le communiqué de la Banque du Canada à propos de la hausse des taux d’intérêt à venir. Carolyn Wilkins préférait recentrer le débat sur les enjeux de fond. Elle s’est même montrée plutôt fière que son institutio­n soit parvenue, au cours des dernières années, dans ses communicat­ions, à convaincre les marchés ne plus faire une telle fixation sur la moindre virgule déplacée dans un communiqué et de s’intéresser plutôt aux facteurs économique­s fondamenta­ux. « En plus de mieux se comprendre, cela nous aide parce que l’on peut se nourrir de leurs propres analyses [de la réalité]. »

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MARIE-FRANCE COALLIER LE DEVOIR « Nous suivons de très, très près l’évolution de la situation des ménages et l’impact de nos politiques sur eux », soutient Carolyn Wilkins.

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