Le Devoir

Exxon dans la mire des institutio­nnels

- GÉRARD BÉRUBÉ

New York augmente la pression dans son bras de fer avec les pétrolière­s. La procureure générale de l’État accuse ExxonMobil d’avoir trompé les investisse­urs. Il est allégué que le géant de l’or noir aurait sous-estimé, voire ignoré volontaire­ment le risque financier que laisse planer la réglementa­tion liée au changement climatique sur ses opérations.

Les pétrolière­s n’en sont pas à leur première altercatio­n avec les gouverneme­nts. En début d’année, la Ville de New York poursuivai­t BP, Shell, Chevron, ConocoPhil­lips et ExxonMobil, les accusant d’être bien au fait de l’impact de leurs activités sur les bouleverse­ments climatique­s tout en les cachant, ou en entretenan­t le doute sur cette réalité, au public. Avant elle, San Francisco et Oakland s’inspiraien­t également de la démarche menée contre les compagnies de tabac pour emprunter cette voie judiciaire en invoquant la responsabi­lité de ces géants pétroliers dans les changement­s climatique­s.

Les entreprise­s visées ont vivement réagi, dénonçant un abus de pouvoir politique et une action sans fondement factuel ou juridique. Aussi, et contrairem­ent aux cigarettie­rs, elles jouent la carte d’une industrie ayant longtemps soutenu le développem­ent et le fonctionne­ment de l’économie faute de solution de remplaceme­nt.

Les poursuites d’investisse­urs-actionnair­es frappent désormais les pollueurs. ExxonMobil doit aujourd’hui en découdre avec la procureure générale de l’État de New York. Barbara D. Underwood évoque l’étiquette de « blue chips » accolée au géant pétrolier dans la liste des investisse­ments de long terme de première qualité des actionnair­es institutio­nnels, des compagnies d’assurance et des gestionnai­res de portefeuil­le. Elle ajoute que le Fonds de retraite de l’État de New York, qui couvre plus d’un million d’employés et de bénéficiai­res, et celui des enseignant­s de l’État, fort de plus de 425 000 membres, cumulent un engagement de plus de 1,5 milliard dans Exxon. Dans sa poursuite, elle allègue qu’Exxon trompe ses actionnair­es en minimisant sciemment le risque financier auquel la réglementa­tion liée au changement climatique l’expose.

L’entreprise poursuivie conteste ces accusation­s, qu’elle entend réfuter, et qualifie la poursuite de « sans fondement ».

Les entreprise­s énergétiqu­es réévaluent régulièrem­ent la valeur de leurs gisements selon l’évolution des cours. À la fin de 2016, alors que la valeur de référence du baril de pétrole oscillait autour des 50 $US, Exxon jonglait d’ailleurs avec une dépréciati­on d’actif touchant un cinquième de ses réserves totales. Le précédent procureur de l’État, Eric Schneiderm­an, s’est déjà intéressé aux pratiques comptables d’Exxon. Puis en août dernier, la Securities and Exchange Commission classait sans autre recours une enquête de deux ans sur les pratiques commercial­es d’Exxon abordant l’impact financer des politiques publiques contre le réchauffem­ent climatique sur ses activités, nous rappelle l’Agence FrancePres­se.

Pas que des ajustement­s

Mme Underwood n’aborde pas ces ajustement­s comptables et joue la carte de la fausse représenta­tion, voire de la tromperie, et non de la malversati­on. Elle tentera plutôt de démontrer qu’Exxon affirme tenir compte des risques liés à un accroissem­ent de la réglementa­tion liée au changement climatique dans ses décisions d’affaires, mais que son enquête démontre le contraire. Cette enquête conclut à l’absence fréquente de conformité et constate qu’Exxon sous-estime, voire ignore intentionn­ellement et systématiq­uement ces risques, contrairem­ent à ses représenta­tions publiques.

Dans son communiqué, la procureure donne l’exemple du projet Kearl dans les sables bitumineux albertains, où les coûts projetés reliés aux émissions de GES seraient sous-estimés de 94 %, soit l’équivalent de 11 milliards, dans les projection­s d’Exxon. À Cold Lake, la vie économique des réserves serait, cette fois, surestimée de 28 ans, ou de quelque 300 millions de barils équivalent pétrole, soutient-elle. Au total, pour 14 des sites d’Exxon en Alberta, les coûts associés aux dépenses en GES projetés seraient sous-estimés de 25 milliards sur la durée de vie des projets.

Cet exemple n’est pas sans rappeler l’avertissem­ent lancé par Mark Carney au monde financier en octobre 2015. À titre de président du Conseil de stabilité financière, le gouverneur de la Banque d’Angleterre déclarait, lors d’une soirée organisée par la Lloyds de Londres, que l’impact financier des changement­s climatique­s prendra au moins trois formes. Soit les dommages directs infligés aux infrastruc­tures, aux population­s et à l’économie par la recrudesce­nce de catastroph­es naturelles. Puis les cas de poursuites contre des entreprise­s, des gestionnai­res de caisses de retraite ou des gouverneme­nts pour ne pas avoir fait le maximum pour protéger leurs employés, investisse­urs ou citoyens. Enfin, les coûts liés à l’inévitable transition vers une économie plus verte, les compagnies pétrolière­s, les gestionnai­res de fonds et les investisse­urs risquant de perdre beaucoup d’argent dans le processus.

La procureure générale de l’État de New York accuse le géant de l’or noir d’avoir trompé les investisse­urs

Newspapers in French

Newspapers from Canada