Une « gauche » et une « droite » musicales ? La dénonciation de Mario Pelchat reprend un refrain vieux de 50 ans.
Le clivage qu’il dénonce est un refrain qui se fait entendre depuis les années 1960
Ce n’est pas d’hier — ou, dans le cas présent, du dernier gala de l’ADISQ — que date le débat sur le snobisme dont seraient victimes les chanteurs pop au Québec. Ce que Mario Pelchat a soulevé comme enjeu est dans les faits une chanson connue depuis au moins 50 ans, soulignent des observateurs de la scène musicale.
« Les artistes populaires, on les tasse dans un coin, on est des ploucs, des quétaines… On nous tasse dans un coin pour ne faire place qu’aux marginaux », a dénoncé M. Pelchat cette semaine à Radio-Canada.
Habitué des coups de gueule postgala, le chanteur et producteur s’étonnait que le Félix de l’interprète féminine de l’année ait été accordé à Klô Pelgag, au lieu de la chanteuse country Guylaine Tanguay. Pelgag ? « Moi, ma mère, ma tante, sur la rue, les gens ne savent pas c’est qui», a-t-il dit. Ses commentaires ont suscité de vives réactions et discussions dans les médias de toutes sortes.
Point d’équilibre
« C’est vraiment une drôle d’année pour avoir soulevé ça », jugeait mercredi Geneviève Côté, chef des affaires du Québec à la SOCAN. Mme Côté pense a contrario de Mario Pelchat que l’ADISQ a réussi à trouver un point d’équilibre entre le très populaire et le succès d’estime.
« Guylaine Tanguay n’a pas gagné, mais elle était finaliste et elle a fait le numéro d’ouverture du gala. C’est une vitrine ! Quand tu as dans la même catégorie Pelgag et Tanguay, ou le groupe 2Frères [produit par Pelchat] et les Soeurs Boulay, c’est que tu ratisses large. Après ça, il y a un vote, et dès qu’il y a un gagnant quelque part, il y a des mécontents. »
Au-delà des approximations entourant les déclarations de Pelchat — il ne savait
pas que Pelgag avait beaucoup tourné en 2018, et il ignorait la mécanique de votation pour le Félix interprète —, ne met-il pas le doigt sur quelque chose ? Un certain clivage entre une « gauche » et une « droite » musicales ?
Selon cette terminologie, la gauche serait la chanson de création, plutôt cool et choyée par la critique. La droite, elle, désignerait la pop qui triomphe dans les radios commerciales, mais qui serait boudée par l’intelligentsia culturelle.
« C’est un nouvel épisode de la vieille querelle entre les chansonniers et les yéyé des années 1960», relève la sociologue Chantal Savoie, membre du Centre de recherche interuniversitaire sur la littérature et la culture québécoises.
Le même phénomène était aussi observé au début des années 1990, rappelle un texte de la sociologue Michèle Ollivier publié il y a une douzaine d’années par Cambridge University Press. «Les auteurs-compositeurs et les artistes rock et pop-rock [québécois] ont un niveau de prestige plus élevé que les interprètes, les artistes populaires et les artistes country, concluait-elle alors. Leur oeuvre est plus facilement considérée comme authentique […] ils ont un accès plus facile aux récompenses. »
C’est une étude qui « montrait que la division entre les “snobs” et les “quétaines” perdurait », résume Danick Trottier, professeur en musicologie à l’UQAM. Ce dernier a vu des similitudes évidentes entre le texte et ce qui se trouve en filigrane de la sortie de Mario Pelchat.
« Il y a des clivages de prestige [qui demeurent] entre des genres musicaux qui seraient mieux que d’autres, dit-il. Le country ou la pop sont encore vus comme moins prestigieux, parce que moins inventifs. Il y a aussi le clivage entre les auteurs-compositeursinterprètes et les interprètes — le travail de création de ces derniers étant moins reconnu. Plus globalement, il y a toujours une forme d’opposition entre la valeur économique d’un artiste [ses ventes, sa popularité] et sa valeur de prestige [les prix, les critiques], même si plusieurs artistes arrivent à faire cohabiter les deux. »
Image
Autre élément : à travers le débat des derniers jours, Chantal Savoie dit avoir trouvé « maladroit de la part de Mario Pelchat de s’en prendre aux jeunes artistes, si c’est l’ADISQ qu’il souhaite critiquer ».
« On est facilement cinglant avec les jeunes artistes québécois, qu’il s’agisse de Safia Nolin, Hubert Lenoir ou Klô Pelgag […]. J’ai souvent l’impression que si leur production nous arrivait sous une étiquette indépendante étrangère, les gens les aborderaient d’une oreille différente. Je trouve dommage qu’on les ramène à des gamins qui se prennent pour d’autres à cause de leur image. »
Ce qui, là aussi, laisse une impression de déjà-vu à Mme Savoie. « Ça me rappelle les critiques virulentes qu’avait eu à encaisser Diane Dufresne à la fin des années 1970 et durant les années 1980. Les excentriques seraient-ils malmenés au Québec ? » demande-t-elle.