Le Devoir

Parce qu’on est en 2018

- MICHEL DAVID

En août dernier, la chef du Parti vert, Elizabeth May, avait invoqué la tradition parlementa­ire de « courtoisie du chef » pour expliquer l’absence de candidat vert à l’élection partielle à venir dans Burnaby-Sud, en Colombie-Britanniqu­e, où son homologue néodémocra­te, Jagmeet Singh, tentera de se faire élire.

Certains diront que la courtoisie de Mme May a pu être renforcée par la faible performanc­e de son parti à l’élection générale de 2015, où il n’a recueilli que 2,8 % des voix dans cette circonscri­ption, loin derrière le NPD (35,1 %), le PLC (33,9 %) et le PC (27,1 %).

Même si cette tradition de faciliter l’entrée d’un nouveau chef à la Chambre des communes existe bel et bien, elle ne constitue pas une obligation. On ne peut cependant pas dire que le premier ministre Trudeau fait preuve d’un grand fairplay en retardant la tenue de l’élection partielle.

Le député néodémocra­te sortant, Kennedy Stewart, a abandonné son siège pour se présenter — et l’emporter — à la mairie de Vancouver à la fin de l’été, de sorte que M. Trudeau peut légalement attendre jusqu’au 18 mars prochain pour déclencher l’élection partielle.

Une autre tradition aurait voulu qu’on règle d’un seul coup le cas des quatre circonscri­ptions qui sont actuelleme­nt sans député, dont celle d’Outremont, comme le réclament les quatre partis d’opposition, plutôt que de s’en tenir pour l’instant à la seule circonscri­ption ontarienne de Leeds-Grenville-Thousands Islands, où la date limite a été atteinte.

On peut très bien comprendre la frustratio­n des néodémocra­tes, qui voient approcher l’élection générale avec la plus grande appréhensi­on sous la direction d’un chef qui a pris des allures de fantôme. Leur déception semble aussi grande que l’était leur empresseme­nt à se débarrasse­r de Thomas Mulcair.

Il est certain que sa présence à la Chambre des communes assurerait une plus grande visibilité à M. Singh. Encore faudrait-il savoir si cela aiderait le NPD ou si le spectacle quotidien d’un chef portant le turban ne ferait qu’empirer les choses, notamment au Québec.

Chose certaine, le PLC a tout avantage à ce que M. Singh mène les troupes néodémocra­tes à l’élection d’octobre 2019. Même si Andrew Scheer est tout sauf inspirant, les sondages indiquent que les chances des conservate­urs demeurent bien réelles. Tous ceux qui craignent leur retour au pouvoir préféreron­t encore voter libéral plutôt que de leur permettre de se faufiler en appuyant un parti dont les chances semblent pratiqueme­nt nulles.

Il ne faudrait surtout pas que les néodémocra­tes décident de liquider prématurém­ent M. Singh, en se disant qu’un autre chef ne pourrait pas faire pire. Le calcul des stratèges libéraux semble être qu’en reportant au printemps l’élection dans Burnaby-Sud, il sera trop tard pour qu’il ait le temps de faire ses preuves ou qu’on puisse s’en débarrasse­r.

Pendant des années, les libéraux ont clamé leur indignatio­n face au peu de respect pour les institutio­ns parlementa­ires manifesté par le gouverneme­nt de Stephen Harper.

Après s’être engagé formelleme­nt à ce que l’élection d’octobre 2015 soit la dernière à être tenue sous le mode de scrutin actuel, M. Trudeau a vite compris que son parti avait tout intérêt à le maintenir. Le cynisme avec lequel il a torpillé la réforme promise indiquait clairement que les choses n’étaient pas à la veille de changer.

On peut s’interroger sur l’utilité d’une commission indépendan­te qui serait chargée d’organiser les débats des chefs durant les campagnes électorale­s, comme M. Trudeau en avait également promis la création durant la campagne électorale. Qu’on la juge nécessaire ou non, personne n’avait cependant imaginé que le gouverneme­nt puisse fixer les règles du jeu sans consultati­on auprès des partis d’opposition.

Il n’est pas normal qu’une institutio­n soi-disant indépendan­te, qui sera associée de près au processus électoral, soit dirigée par une personne nommée directemen­t par le gouverneme­nt. Il semble aller de soi que cette nomination devrait être soumise à un vote de la Chambre des communes, comme c’est le cas pour celle du Directeur général des élections.

Qu’une personne nommée par le gouverneme­nt puisse participer au choix des thèmes à débattre et à celui du modérateur n’est certaineme­nt pas de nature à rassurer la population sur la neutralité de l’exercice.

Lors de la formation de son Conseil des ministres, M. Trudeau avait frappé l’imaginatio­n en expliquant d’une phrase pourquoi il jugeait important que celui-ci compte autant de femmes que d’hommes : « Parce que nous sommes en 2015. »

À l’aube de 2019, le premier ministre semble toutefois penser que la politique doit toujours être faite comme avant.

Le calcul des stratèges libéraux semble être qu’en reportant au printemps l’élection dans Burnaby-Sud, il sera trop tard pour que M. Singh ait le temps de faire ses preuves ou qu’on puisse s’en débarrasse­r

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