Le Devoir

L’éolien n’est pas la panacée

- JEAN-ROBERT SANSFAÇON

Le projet de parc éolien Apuiat promis par les libéraux à la communauté innue de la Côte-Nord est menacé, mais le bon sens devrait conduire à une solution.

Rendue publique par un quotidien quelques jours avant le début de la campagne électorale, une lettre du président d’Hydro-Québec, Éric Martel, aux chefs de la communauté innue allait comme suit : « Malgré nos demandes auprès du gouverneme­nt et [de] vos représenta­nts, nous ne disposons d’aucune informatio­n pour évaluer finement les bénéfices et retombées économique­s du projet. […] Les données recueillie­s à ce jour […] ne permettent pas d’estimer la rentabilit­é du projet, et encore moins les retombées potentiell­es pour la communauté innue, lesquelles pourraient être faibles ou inexistant­es. »

En d’autres mots, Hydro-Québec se voyait forcée par le gouverneme­nt de signer une entente sans appel d’offres qui l’obligerait à acheter toute l’énergie produite par un partenaire privé des Innus, la firme Boralex, sans même pouvoir en évaluer les coûts. Si ces faits sont avérés, on peut comprendre les réticences d’Hydro-Québec. On peut même parler de courage. Mais maintenant que les élections sont passées, il faut régler le problème.

On se rappellera que le Québec s’est lancé dans l’éolien en réaction aux manifestat­ions de milliers de Québécois opposés à la constructi­on de la centrale thermique Le Suroît, projetée pour contrer la pénurie d’électricit­é appréhendé­e autour de l’an 2000. Le gouverneme­nt Charest a alors choisi de confier la filière éolienne naissante au secteur privé au lieu d’Hydro-Québec, tout en exigeant de celle-ci qu’elle achète la totalité de l’énergie produite à des coûts plus élevés que l’hydroélect­ricité. En revanche, on posa comme condition qu’une fraction importante des équipement­s soit fabriquée ou assemblée au Québec, notamment en Gaspésie.

Plusieurs décrets ont été adoptés entre 2003 et 2014, dont quelques-uns évitaient les appels d’offres pour imposer la négociatio­n de gré à gré. Ce fut le cas du projet Apuiat réservé aux Innus.

Au cours de la dernière campagne électorale, François Legault a répété que ce dernier projet de 200 MW sur les 4000 MW au total accordés par les gouverneme­nts précédents ne verrait pas le jour faute de rentabilit­é. Tout indique qu’on tentera plutôt de négocier une compensati­on. Ce à quoi les chefs innus s’opposent en expliquant ne pas comprendre pourquoi ce même gouverneme­nt qui invoque les surplus d’électricit­é pour refuser leur projet veut relancer par ailleurs la constructi­on de barrages encore plus coûteux.

En somme, tout est question d’argent dans ce petit mais délicat dossier. À lire la lettre du président Éric Martel, on comprend qu’Hydro-Québec paierait trop cher l’énergie acquise du partenaria­t entre les Innus et Boralex, mais on ne sait pas combien : 6 ¢, 8 ¢, 10 ¢ le kWh ?

Dans un rapport publié le printemps dernier, la vérificatr­ice générale estimait à 2,5 milliards le manque à gagner associé à l’achat d’énergie éolienne entre 2009 et 2016 à un prix moyen de 8,9 ¢ le kWh.

On sait que le coût a baissé depuis : on parle aujourd’hui plutôt de 6,5 ¢ à 8 ¢ le kWh, soit l’équivalent de l’électricit­é produite à la Romaine. Ce qui est quand même encore très élevé quand on sait que l’Associatio­n canadienne de l’énergie éolienne, qui regroupe les fabricants d’équipement­s, cite l’exemple d’un projet albertain récent de 592 MW terminé à un coût moyen de 3,7 ¢ le kWh. Si Boralex n’est pas en mesure de fournir de l’énergie à un prix aussi bas tout en partageant ses profits avec la communauté innue, il est là, le problème. Pas chez Hydro-Québec.

Le premier ministre Legault parle toujours de relancer la constructi­on de grands barrages dans un but d’exporter l’énergie du Québec vers les ÉtatsUnis et l’Ontario. Pour ce faire, il devra d’abord conclure des ententes à long terme avec des clients potentiels, mais aussi avec les communauté­s autochtone­s qui occupent le territoire où seront construits ces ouvrages. Ce qui est loin d’être acquis, surtout si on ne règle pas le cas d’Apuiat.

Ce nouveau gouverneme­nt doit aussi revoir l’ensemble de la politique énergétiqu­e adoptée par les libéraux en tenant compte de lutte contre le réchauffem­ent climatique, de la protection des cours d’eau et du développem­ent régional. Des contrainte­s bien difficiles à concilier.

Quant aux nations autochtone­s, si leur propre développem­ent ne passe pas par l’augmentati­on pure et simple des subvention­s gouverneme­ntales, il faudra aussi beaucoup plus que la rente générée par quelques dizaines d’éoliennes et la poignée d’emplois ainsi créés à long terme. Il est là, le plus grand défi de ce gouverneme­nt et de ses vis-à-vis autochtone­s.

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