Le Devoir

Pour la poursuite d’une politique nordique du Québec

- Mathieu Landriault Université St-Paul, Ottawa Jean-François Payette UQAM Stéphane Roussel École nationale d’administra­tion publique

Sans surprise, la politique internatio­nale a à peine été mentionnée au cours de la dernière campagne électorale. Ce n’est pourtant pas parce qu’il ne se passe rien en ce domaine. En fait, la politique internatio­nale du Québec est l’une des plus actives de toutes celles des gouverneme­nts non souverains au monde.

Depuis la fin des années 1960, les gouverneme­nts, tant libéraux que péquistes, en passant par celui de l’Union nationale, ont graduellem­ent donné corps à cette politique, en ont élargi sa portée et ont établi une tradition en cette matière. Le gouverneme­nt Couillard n’a pas fait exception à cette tendance : le premier ministre a multiplié les voyages à l’étranger, tandis que la ministre Christine St-Pierre a publié en 2017 un document d’orientatio­n substantie­l et solidement étoffé, couronné par l’ouverture de nouvelles délégation­s.

Depuis une dizaine d’années, un nouveau volet est timidement apparu, celui du Nord et de l’Arctique, que ce soit en appui au Plan Nord ou dans l’optique d’établir de nouveaux partenaria­ts et de gérer les effets dramatique­s du réchauffem­ent du climat. La participat­ion du premier ministre et de nombreux ministres aux réunions annuelles de l’Arctic Circle en Islande illustre bien cet intérêt.

Il faut souhaiter que le nouveau gouverneme­nt caquiste s’inscrive à son tour dans cette tradition. Il est naturellem­ent encore trop tôt pour jauger les intentions du nouveau premier ministre et de sa ministre Nadine Girault en ce domaine, car l’enjeu n’a pas été traité explicitem­ent en campagne électorale. Tout au plus, le candidat Legault avait-il avancé l’idée de rediriger la diplomatie québécoise afin que celle-ci soit d’abord fondée sur des priorités économique­s, avec comme objectif d’ouvrir de nouveaux marchés étrangers pour les exportateu­rs québécois.

De précieuses expertises

Les relations avec les États nordiques répondent certaineme­nt à cet impératif commercial, puisque la Russie et les pays scandinave­s sont encore — malgré une augmentati­on notable depuis une décennie — des points de chute marginaux pour les produits québécois. Des avancées bilatérale­s intéressan­tes peuvent être observées avec l’Islande et la Norvège entre autres. Mais aussi et surtout, les Québécois peuvent y trouver de précieuses expertises pour mettre en valeur leur propre territoire nordique. La prospérité à long terme du Québec en sera probableme­nt tributaire, mais la mise en oeuvre d’un Plan Nord (ou son équivalent) exigera non seulement des investisse­ments colossaux, mais également un savoirfair­e que peuvent offrir les autres sociétés arctiques qui partagent, à bien des égards, une réalité territoria­le, environnem­entale, climatique et urbanistiq­ue similaire à celle du Québec.

Mais la politique nordique du Québec, comme l’ensemble de sa politique internatio­nale, ne doit surtout pas se borner à la poursuite d’intérêts économique­s. Le Québec est la seule des dix provinces canadienne­s qui se déploie au nord de la ligne des arbres, l’un des repères délimitant la région arctique. Le Nunavik est constellé de communauté­s innues qui conservent des contacts avec leurs partenaire­s non seulement du Nord canadien, mais aussi du Groenland et de l’Alaska, et dont les aspiration­s et les besoins ne peuvent être négligés — comme le rappellent les débats engendrés par l’annulation du projet Apuiat. Plus encore, le gouverneme­nt du Québec doit s’assurer d’être en mesure d’offrir des services sociaux divers sur l’ensemble de son territoire, surtout si les activités économique­s et touristiqu­es s’y multiplien­t. Enfin, la gestion d’une région qui est parmi les premières à subir de plein fouet les conséquenc­es des changement­s climatique­s pose des défis non seulement à caractère environnem­ental, mais aussi social et technologi­que.

Besoin de collaborat­ion

Les activités québécoise­s dans la région arctique sont significat­ives. Elles s’articulent aussi dans une région où la gouvernanc­e est inclusive et permet à de nombreux acteurs de jouer un rôle stratégiqu­e dans les relations arctiques. Les forums multilatér­aux qui se penchent et réfléchiss­ent sur cette région font montre d’un esprit d’ouverture sans précédent.

D’autres gouverneme­nts non souverains font preuve d’une activité grandissan­te ; l’Écosse, par exemple, se positionne de plus en plus comme une société nordique. Les municipali­tés établies sur le territoire sont également interpellé­es par les enjeux liés à l’Arctique, alors que les questions d’urbanisme, d’aménagemen­t du territoire, de services sociaux, d’environnem­ent, de sécurité, de relations multiagenc­es les interpelle­nt de plus en plus. Les acteurs non gouverneme­ntaux, comme des compagnies privées, font aussi partie du dialogue arctique et sont appelés à tisser des partenaria­ts d’affaires, mais aussi à définir les règles et les normes qui auront cours à l’avenir.

Cette convergenc­e vient souligner que la diplomatie et l’activité économique ne sont pas dissociabl­es ; une politique internatio­nale axée sur l’atteinte d’objectifs économique­s ne peut sous-estimer l’importance du travail diplomatiq­ue fait en amont par la diplomatie québécoise. Le faire représente­rait une grave erreur d’appréciati­on de la gouvernanc­e arctique, mais aussi une occasion manquée inestimabl­e.

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR Le Québec doit avoir un plan Nord qui dépasse le seul développem­ent économique.

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