Les dix années chaotiques du bitcoin
Un des rôles des cryptomonnaies dans le paysage monétaire est désormais entrevu
Tout n’a pas été que pure spéculation en ces dix ans du bitcoin. Depuis le dépôt du «livre blanc» fondateur, le 31 octobre 2008, l’emblème phare des cryptomonnaies manque encore de crédibilité. Ce qui ne l’a pas empêché de réaliser des gains de légitimité.
On le sait, le parcours du bitcoin est truffé de corrections et de krach. C’est d’ailleurs cette volatilité qui a donné naissance à un premier contrat à terme à la Bourse de Chicago conférant à la monnaie virtuelle une forme de valeur mobilière négociée sur les plateformes structurées et réglementées. D’autres instruments sont concoctés, sous forme d’options sur contrat et de fonds indiciels. Cette entrée sur le marché des produits dérivés confère au bitcoin une dimension « antisystème » ou « valeur refuge » longtemps dévolue à l’or, sans corrélation mesurée ni utilité commerciale étendue.
L’année 2017 aura frappé l’imaginaire, braquant les projecteurs sur cette monnaie jusque-là marginalisée, lancée sous le pseudonyme Satoshi Nakamoto. La multiplication par près de 20 d’un cours fixé à 1000 $US le 1er janvier 2017 est venue consacrer la valeur spéculative du bitcoin. D’autant que, depuis, la valeur a fondu des deux tiers. Mercredi, son cours sur Coindesk se maintenait au-dessus des 6300$US, accolant à l’offre de 17,4 millions de bitcoins la valeur marchande de 109 milliards. Et les anticipations se voulaient baissières, les contrats de novembre et décembre 2018 et de mars 2019 s’échangeant à 6285$US, 6290 $US et 6245 $US respectivement, dans un marché très peu actif.
Sur l’angle réglementaire, la plus connue des monnaies numériques n’a toujours pas de crédibilité. On y voit encore un vecteur de fraude et de manipulation sous l’action d’une poignée d’émetteurs privés. En Asie, particulièrement friande de ces monnaies spéculatives, les interdits des régulateurs se sont multipliés, en Chine, au Japon, en Corée du Sud. En Amérique du Nord, l’opération à grande échelle « Crypto Sweep » a été lancée en mai avec, dans la mire, ces « ICO », ou émissions initiales en cryptomonnaies. On évoquait alors qu’uniquement pour les ICO, une étude menée par Satis Group a démontré que 81 % des collectes de fonds en cryptomonnaies lancées depuis 2017 empruntaient à l’arnaque. Sans compter tous ces sites hébergés sur le « Dark- net » consolidant l’association entre le bitcoin et le blanchiment d‘argent et autres transactions sur le marché noir, et ces nombreuses faillites de plateformes d’échange après avoir essuyé l’assaut des pirates.
Mais sur le plan systémique, la plus populaire des monnaies virtuelles a servi d’ambassadrice à la technologie de la chaîne de blocs, ou blockchain, laissant miroiter nombre d’utilisations ou d’applications, notamment dans l’industrie financière, le marketing et le commerce.
Et sous l’angle économique, un rôle des cryptomonnaies dans le paysage monétaire est désormais entrevu, dans une perspective de dollarisation 2.0, même si ces monnaies nées dans les cendres de la crise de 2008 ont à démontrer leur résilience face à un choc économique à grande échelle.
Pour l’instant, le marché au comptant manque de profondeur, de transparence, de liquidités et d’efficience. Et dans leur version actuelle, bitcoins et al. appartiennent davantage à l’esquisse, étant difficiles d’utilisation et parfois trop obscurs. Or le Fonds monétaire international a déjà fait référence à une solution de remplacement moins coûteuse à la dollarisation à laquelle pourraient recourir des pays émergents désirant se défaire de leur dépendance au dollar américain et retrouver leur autonomie monétaire en se soustrayant de l’influence la Réserve fédérale. Certes, tout reste, ici, à démontrer, comme cette expérience hybride tentée au Venezuela démontrant des débuts plus que laborieux du petro. Là-bas, on ne croit pas au succès de cette cryptomonnaie s’appuyant sur les réserves pétrolières d’un pays évoluant en situation de défaut de paiement, comme sa compagnie pétrolière d’État PDVSA, en proie à l’hyperinflation et aux prises avec d’énormes déficits publics.
Une solution de remplacement que l’actuelle guerre commerciale que livrent les États-Unis à ses principaux partenaires commerciaux ne peut que renforcer. D’autant que cette surenchère de sanctions et de tarifs conduit à l’application d’une politique monétaire toujours moins accommodante de la Fed qui n’est pas sans provoquer des remous sur le marché du crédit et se répercuter sur la dette libellée en dollars américains.
Car les défis ne sont finalement que de nature technologique, soulignait le FMI il y a un an.