Le Devoir

Cauchemar américain

Relecture peu reluisante de Des souris et des hommes, un classique du théâtre américain

- CHRISTIAN SAINT-PIERRE COLLABORAT­EUR

On dirait que le vent de changement qui soufflait chez Duceppe depuis quelques mois est en train de s’apaiser. Espérons que ce soit momentané. Entre deux pièces inscrites dans le présent, deux auteurs contempora­ins, un texte abordant le conflit israélo-palestinie­n et l’autre la notion de consenteme­nt sexuel, les nouveaux codirecteu­rs artistique­s ont jugé bon de programmer… Des souris et des hommes, une oeuvre emblématiq­ue du passé de la compagnie, qui plus est mis en scène sans grand relief.

Le roman de John Steinbeck est adapté pour la scène par son auteur l’année même de sa parution, 1937, alors que le livre est toujours dans la liste des meilleures ventes. La tragique histoire de George, employé de ferme, et de Lennie, son ami simple d’esprit, ne laisse personne indifféren­t. Difficile en effet de ne pas communier avec leur quête de liberté, de ne pas partager leur aspiration à la tranquilli­té et à l’autosuffis­ance, ce rêve d’une vie meilleure que l’Amérique sait certaineme­nt faire miroiter. Il en va des souris comme des hommes, voilà ce que Steinbeck semble tenir à nous rappeler : un rien suffit à leur briser le cou, à broyer leurs espoirs, à anéantir leur avenir. Quatre-vingts ans plus tard, le constat, un brin pessimiste il faut en convenir, demeure actuel, surtout en ce qui concerne les exclus, ceux que les nantis, les puissants et les privilégié­s maintienne­nt commodémen­t au bas de l’échelle.

Au Québec, la pièce fait en 1971 l’objet d’un populaire téléfilm avec Hubert Loiselle et Jacques Godin. Chez Duceppe, en 1987, Loiselle reprend son rôle alors que Michel Dumont incarne Lennie. Cette fois, dans une traduction bien québécoise de Jean-Philippe Lehoux, c’est Benoît McGinnis et Guillaume Cyr qui se mesurent aux personnage­s, très convenable­ment d’aillleurs, dans un spectacle qui, néanmoins, ne passe pas la rampe. Dès les premières minutes, la mise en scène de VincentGui­llaume Otis nous impose une chorégraph­ie d’allées et venues dont on ne comprendra jamais la pertinence en regard du reste d’une représenta­tion on ne peut plus sage.

Dans le dortoir en planches imaginé par Romain Fabre, éclairé par Julie Basse, on ne sent tout simplement pas la chaleur insoutenab­le qui devrait régner, pas plus que la fatalité qui devrait planer et le désir qui devrait dangereuse­ment monter. Alors que le Curley de Maxim Gaudette est sans nuances, et pas du tout menaçant, la Mae de Marie-Pier Labrecque est sans mystère, sans vivacité de corps et d’esprit. En somme, parce que le spectacle ne parvient pas à tendre le ressort, à épouser le crescendo de l’oeuvre, celui qui mène au terrible coup de grâce, on quitte la salle frustré que la catharsis ne se soit pas accomplie.

Des souris et des hommes

Texte: John Steinbeck. Traduction: Jean-Philippe Lehoux. Mise en scène: Vincent-Guillaume Otis. Au Théâtre Jean-Duceppe jusqu’au 1er décembre.

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CAROLINE LABERGE Benoît McGinnis et Guillaume Cyr qui se mesurent respective­ment aux personnage­s de George et Lennie.

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