Le Devoir

Combattre l’obsolescen­ce programmée, une réparation à la fois |

Des organismes et des événements ont comme mission d’allonger la vie de nos objets

- ISABELLE PARÉ

Au Canada, 81 % des consommate­urs ne font pas réparer leurs appareils électromén­agers s’ils se détraquent, et seulement une personne sur quatre juge bon de faire réparer ses appareils électroniq­ues, préférant en acheter de nouveaux. Or, les montagnes de détritus générées par l’obsolescen­ce programmée peuvent être en partie évitées.

Dans un petit local de la Maison Notman, carrefour technologi­que rue Sherbrooke, à Montréal, la compagnie iPhoenix répare ce que plusieurs considèren­t comme irréparabl­e. La micro-entreprise remet sur pied les iPhone et tablettes mal en point : écrans brisés, caméras obsolètes, haut-parleurs muets, batterie paresseuse, carte mère endommagée, etc.

« Contrairem­ent à ce que dit souvent le fabricant, presque tout peut se réparer sur un iPhone, même les cartes mèrs, considérée­s comme irréparabl­es, peuvent l’être, mais cela est peu connu des gens », affirme Jonathan Belleteau, cofondateu­r de cette microentre­prise fondée il y a un an.

Résultat : les téléphones sont parmi les appareils électroniq­ues qui sont les plus rapidement remplacés… et les moins recyclés. Or, la fabricatio­n d’un téléphone intelligen­t requiert 70 kg de matières premières (jusqu’à 60 métaux différents) et génère environ 32 kg de CO2, selon les données de HOP, une associatio­n française militant contre l’obsolescen­ce programmée.

Avec 7,7 milliards de détenteurs de cellulaire­s dans le monde, presque autant que d’être humains, inutile d’en rajouter, estiment les cofondateu­rs d’iPhoenix. «Il y a toutes sortes de trucs simples pour ménager son téléphone. Contrairem­ent à ce qu’on dit, il faut éviter de décharger complèteme­nt la batterie car cela l’endommage. Mieux vaut ne pas attendre qu’il reste moins de 10 % de charge », explique Jonathan. De plus, éviter les fils de recharge bon marché (moins de 15 $) sur les iPhone, qui peuvent littéralem­ent « griller » certaines pièces du iPhone.

Second début

À l’occasion du lancement du Festival Zéro déchet, l’organisme Équiterre réunissait le temps d’une soirée la semaine dernière tous les pionniers du reconditio­nnement au Québec, un petit noyau d’irréductib­les qui fait la moue à l’obsolescen­ce programmée en donnant des ailes au mouvement « Répare tes trucs ».

Parmi eux, Saad Sebti, coordonnat­eur du développem­ent chez Insertech, un organisme sans but lucratif qui reconditio­nne et répare ordinateur­s, portables et tablettes électroniq­ues. Plus que de redonner vie à 10 000 ordinateur­s par année, Insertech sensibilis­e le public à l’empreinte environnem­entale de ces outils et donne des trucs pour prolonger facilement la vie de son ordinateur.

«Une grande partie des «bris» et des lenteurs n’est pas liée à des problèmes de mémoire, mais à un mauvais entretien ou à une mauvaise utilisatio­n », dit-il. Le premier ennemi des ordinateur­s : la poussière. Un nettoyage fréquent peut aisément prévenir les pépins. « La lenteur est très souvent due à des logiciels nuisibles, des navigateur­s indésirabl­es qu’on peut retirer », redonnant ainsi une prime jeunesse aux vieux appareils, dit-il.

Ce dernier suggère aussi de troquer un disque HDD pour un disque SSD (mémoire flash), qui démultipli­e la vitesse de l’ordinateur et prolongera sa durée de vie à coût minime. « Souvent, ça ne vaut pas la peine de changer d’ordi. Changer une pièce, le disque ou ajouter de la mémoire suffit pour la plupart des gens. Et ça se fait à très peu de frais », dit-il.

Réparer ou utiliser autrement son ordinateur n’est pas seulement plus léger pour le portefeuil­le, mais aussi pour l’environnem­ent. « Le plus grand impact des ordinateur­s et des tablettes, c’est d’abord l’extraction des matières premières que ça génère, mais aussi la demande énergétiqu­e avec la démultipli­cation de centres de serveurs très gourmands. C’est pourquoi on suggère de stocker ses données localement et de ne pas utiliser l’infonuagiq­ue », ajoute M. Sebti.

Le «Repair café» de Montréal, inspiré du mouvement similaire lancé aux Pays-Bas, vise lui aussi à montrer aux gens comment faire du neuf avec du vieux, notamment en changeant la prise d’un appareil, en remplaçant une pièce, en changeant une fermeture éclair ou la fiche d’une paire d’écouteurs. « On tient des Repair cafés environ six fois par an. Le but est de montrer à quel point la réparation est parfois simple et très peu coûteuse. Il suffit de changer ses réflexes », soutient Tanguy Marquer, étudiant et bénévole au Repair café, dont la prochaine édition se tiendra le 7 novembre à Polytechni­que.

Le coût de l’obsolescen­ce

En plus d’engloutir des ressources et de l’énergie, l’obsolescen­ce planifiée des appareils électrique­s et électroniq­ues cause beaucoup de frustratio­n chez les consommate­urs, explique Annick Girard, chargée de projet chez Équiterre et fondatrice de la page Facebook Touski s’répare. « C’est bien de conscienti­ser les gens à l’obsolescen­ce programmée, mais il faut leur donner les moyens de la combattre; c’est pourquoi nous avons voulu contribuer à faire connaître les solutions », explique-t-elle.

En outre, des études menées en France ont démontré que ce sont les consommate­urs moins fortunés, plus susceptibl­es de se tourner vers des produits bon marché moins durables, qui font le plus les frais de la courte durée de vie des appareils.

Certaines pratiques commercial­es, notamment le coût prohibitif réclamé pour certaines pièces ou réparation­s par certains fabricants contribue à l’obsolescen­ce de façon indirecte. «On peut contourner cela en s’informant sur des sites comme iFixit, qui comprend tous les tutoriels en ligne pour pouvoir réparer les produits Apple », ajoute M. Sebti.

Responsabi­lité

Pour Annick Girard, les pratiques des fabricants qui encouragen­t la surconsomm­ation inutile devraient cesser. «Le coût de l’obsolescen­ce ne doit pas reposer sur les seules épaules du consommate­ur. Les gouverneme­nts doivent légiférer. En attendant, les gens peuvent faire des pressions auprès des fabricants ou porter plainte auprès de l’Office de protection du consommate­ur. »

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ED JONES AGENCE FRANCE-PRESSE Les téléphones sont parmi les appareils électroniq­ues qui sont les plus rapidement remplacés… et les moins recyclés. Or, la fabricatio­n d’un téléphone intelligen­t requiert 70 kg de matières premières (jusqu’à 60 métaux différents) et génère environ 32 kg de CO , selon les données de HOP, une associatio­n française militant contre l’obsolescen­ce programmée.
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JACQUES NADEAU LE DEVOIR Saad Sebti, d’Insertech, discutait avec deux consommatr­ices pendant la soirée « Répare tes trucs » organisée la semaine dernière à la Maison du développem­ent durable.

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