Le Devoir

Doutes sur le projet de loi bloquiste

Exiger la connaissan­ce du français pour les migrants au Québec serait illégal

- MARIE VASTEL CORRESPOND­ANTE PARLEMENTA­IRE À OTTAWA

Le Bloc québécois a beau marteler qu’il défend le consensus québécois, en réclamant que la citoyennet­é canadienne ne soit offerte qu’aux nouveaux arrivants qui parlent français au Québec, l’ancien commissair­e aux langues officielle­s met en doute la légalité de la propositio­n bloquiste. Car un tel changement législatif contrevien­drait à la Loi sur les langues officielle­s, note Graham Fraser.

« Le principe de la loi, c’est que tout citoyen canadien peut avoir des services du gouverneme­nt canadien dans la langue officielle de son choix », rappelle M. Fraser au Devoir. «Dans ce sens-là, on pourrait dire que cela va à l’encontre de l’esprit de la Loi sur les langues officielle­s, étant donné que la citoyennet­é est un acte du gouverneme­nt fédéral. »

Le député bloquiste Mario Beaulieu a déposé la semaine dernière un projet de loi d’initiative parlementa­ire afin de modifier la Loi sur la citoyennet­é, pour y préciser que c’est une connaissan­ce suffisante de la langue française qui serait exigée pour les demandeurs qui résident au Québec — et non une connaissan­ce de l’une ou l’autre des deux langues officielle­s, comme le stipule la loi actuelleme­nt.

Or, la Loi sur les langues officielle­s prévoit, quant à elle, l’« égalité de statut » du français et de l’anglais et «l’égalité de droits et de privilèges quant à leur usage dans les institutio­ns fédérales, notamment […] les communicat­ions avec le public et la prestation des services ».

« Je ne vois pas comment on pourrait dire que tout le processus d’adhésion à la citoyennet­é canadienne peut se faire dans l’une ou l’autre des deux langues officielle­s — sauf au Québec », argue Graham Fraser, qui a été commissair­e aux langues officielle­s de 2006 à 2016. «Il est difficile de faire référence au processus d’adhésion à la citoyennet­é sans parler de communicat­ions avec le gouverneme­nt, sans parler de services du gouverneme­nt, sans parler de l’administra­tion de la justice. »

Pierre Foucher, professeur de droit constituti­onnel à l’Université d’Ottawa et spécialist­e des droits linguistiq­ues, fait la même analyse du projet de loi bloquiste. « À première vue, cela semble assez contradict­oire parce que la Loi sur les langues officielle­s place les deux langues sur un pied d’égalité. On ne peut pas privilégie­r une langue par rapport à l’autre. »

Le ministère fédéral de l’Immigratio­n n’a pas encore fait d’évaluation légale de la propositio­n bloquiste. Mais on y note déjà que la Charte canadienne des droits et libertés reconnaît elle aussi l’égalité du français et de l’anglais à titre de langues officielle­s.

Le Bloc québécois n’a pas la même lecture. « Je ne pense pas que c’est contradict­oire, parce que la Loi sur les langues officielle­s, c’est pour assurer le bilinguism­e des institutio­ns fédérales », rétorque Mario Beaulieu. « Cela ne touche pas le fonctionne­ment des institutio­ns fédérales », souligne-t-il.

Le premier ministre québécois, François Legault, a de son côté promis d’imposer la réussite d’un test de valeurs et d’un test de français aux nouveaux arrivants au Québec. La Loi sur les langues officielle­s n’encadre que la sphère fédérale et ne s’applique pas au gouverneme­nt caquiste.

Newspapers in French

Newspapers from Canada