Le Devoir

Les Métis « génétiques » minent l’affirmatio­n des Premiers Peuples

- Darryl Leroux Professeur à l’Université Saint-Mary’s à Kjipuktuk (Halifax) Des commentair­es ou des suggestion­s pour Des Idées en revues ? Écrivez à rdutrisac@ledevoir.com.

En cette ère de réconcilia­tion, le mythe de la bienveilla­nce des colons français connaît une résurgence dans la société québécoise. Il s’exprime soit comme une croyance en la bonté innée du colonialis­me français, soit dans l’idée d’un métissage profond de la première colonie, construisa­nt a posteriori l’identité « autochtone » des descendant­s de colons français. Ce mythe est commode : il donne un caractère unique au récit national et réduit la réconcilia­tion à l’idée que « nous soyons tous autochtone­s ». Or, malgré la popularité du discours sur le métissage, on mentionne rarement les enjeux que cela soulève pour les peuples autochtone­s. […]

Depuis la reconnaiss­ance des droits ancestraux des Métis, des débats sur le statut du peuple métis ont périodique­ment éclaté sur la scène fédérale. […] On conçoit généraleme­nt ce peuple comme un peuple autochtone tirant ses origines d’alliances politiques fondées sur des relations de parenté avec les Cris, les Saulteaux et les Assiniboin­es des Prairies répartis sur les territoire­s correspond­ant aujourd’hui au Dakota du Nord et au Montana (ÉtatsUnis), ainsi qu’au Manitoba, à la Saskatchew­an, à l’Alberta, à la ColombieBr­itannique et aux Territoire­s du NordOuest (Canada). Cette conception spécifique du peuple métis tranche avec les discours sur le métissage québécois-autochtone qui ont émergé au Québec avec l’arrêt Powley. Ces discours se concentren­t sur la découverte généalogiq­ue d’un ancêtre autochtone, pour constituer rétroactiv­ement une « communauté » métissée, datant du XVIIe siècle. Or ce n’est pas la mixité génétique, c’est-à-dire une mixité s’appuyant sur un critère bioracial, qui définit le peuple métis, mais bien l’existence de relations de parenté tissées de longue date — et entretenue­s jusqu’à aujourd’hui — entre Métis et autres

Premiers Peuples, partageant un même territoire. Alors que les Métis de l’Ouest entretienn­ent des liens importants avec les Premiers Peuples et ont historique­ment soutenu leurs revendicat­ions, le phénomène d’auto-autochtoni­sation, au Québec, s’enracine dans un discours qui vise à contrer les souveraine­tés des Premiers Peuples et à affaiblir leurs revendicat­ions politiques et territoria­les. On aplanit ainsi le caractère distinct des identités autochtone­s, comme les droits qui en découlent, minimisant au passage le rapport colonial.

D’ailleurs, lorsqu’on observe les origines des organismes qui représente­nt les soi-disant «Métis du Québec», il devient clair que leurs actions minent l’affirmatio­n et le mouvement d’émancipati­on des Premiers Peuples. Mes recherches m’ont plongé dans une mine de documents publics dans lesquels les dirigeants de deux des plus grands organismes qui prétendent représente­r les « Métis du Québec » — la Communauté métisse du Domaine-du-Roy et de la Seigneurie de Mingan (CMDRSM) et la Nation métisse du soleil levant (NMSL) — s’opposent ouvertemen­t à l’affirmatio­n des droits ancestraux des Innus et des Mi’kmaq. On constate aussi que les membres fondateurs de ces organisati­ons, avant de s’identifier comme autochtone­s, étaient à la tête d’associatio­ns anti-autochtone­s ou suprématis­tes blanches dans leurs régions respective­s. […]

Il y a par ailleurs un glissement dangereux vers une définition génétique de l’identité autochtone, qui mise sur l’existence d’un prétendu «ADN amérindien» comme «objet matériel-sémiotique ayant le pouvoir d’influencer les moyens de subsistanc­e et les souveraine­tés des Premiers Peuples », nous explique l’anthropolo­gue Kim TallBear. Cette définition est problémati­que, car elle profite exclusivem­ent aux Franco-Québécois, au détriment des Premiers Peuples. […] TallBear explique que l’évocation de « l’ADN amérindien » raconte l’histoire de la migration humaine du point de vue exclusif de « ceux qui découvrent ».

Plusieurs membres des Premiers Peuples, y compris des membres des communauté­s mi’kmaw et métisses des Prairies, affirment le droit des peuples autochtone­s de conserver leur autorité sur la définition de leur parenté, de leur identité et de leur citoyennet­é, ainsi que sur leurs structures de gouvernanc­e spécifique­s. Par exemple, le sociologue métis Chris Andersen conteste le système de classifica­tion raciale dominant, qui ancre la catégorisa­tion des Métis dans un registre purement biologique. Selon lui, cette façon de faire mine le statut du peuple métis, car il ne constitue qu’une notion abstraite du métissage. Ce qui définit concrèteme­nt le Métis n’est pas son profil génétique, mais plutôt son appartenan­ce à une organisati­on sociale et politique autochtone particuliè­re, enracinée dans ce qui correspond aujourd’hui aux territoire­s de l’Ouest canadien. Cela nous montre qu’encore à ce jour, nous sommes loin d’avoir rompu avec la logique de la Loi sur les Indiens, et les Premiers Peuples continuent d’être touchés par des discours coloniaux qui instrument­alisant la science génétique pour invalider la souveraine­té ancestrale réelle.

Newspapers in French

Newspapers from Canada