Le Devoir

Comment punir l’Arabie saoudite pour l’assassinat d’un journalist­e

- Alain Vallières Chercheur au CERIUM, chargé de cours à l’Université de Montréal

Les gestes commis par des agents de l’Arabie saoudite dans son consulat d’Istanbul sont inacceptab­les. Même si les responsabl­es de cet État ont admis la mort du journalist­e Jamal Khashoggi dans les locaux consulaire­s, ils ne semblent pas être en mesure de remettre le corps à la famille alors que les autorités turques le prétendent dissous. Par ailleurs, si l’émirat promet un procès pour les agents qu’ils détiennent, il est à craindre que le nom du principal donneur d’ordre ne soit jamais prononcé lors de cette procédure.

Le Canada, à l’instar d’autres pays, a réagi à cette monstruosi­té avec quelques déclaratio­ns. Il n’entend pas mettre un terme aux contrats actuels de livraisons d’armes en raison des pénalités associées, mais il ne semble pas vouloir permettre d’autres livraisons. Le président des États-Unis met également le commerce au-dessus des êtres humains en préférant conserver des emplois. En définitive, seule l’Allemagne a clairement annoncé stopper son commerce d’armes avec ce pays. Le message est clair, aucun État n’affrontera l’Arabie saoudite de peur du prix à payer.

Il existe toutefois une action pouvant être utilisée collective­ment au sein de l’ONU permettant de toucher ce qui est sans doute le plus sensible chez l’Arabie saoudite: son amour propre. Il est en effet possible d’introduire devant l’Assemblée générale de l’organisati­on une procédure afin que le droit de l’Arabie saoudite de siéger au Conseil des droits de l’homme soit suspendu.

Le 15 mars 2006, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté une résolution créant le Conseil des droits de l’homme. Il était prévu que « les États

Il existe une action pouvant toucher ce qui est sans doute le plus sensible chez l’Arabie saoudite : son amour propre. Il est en effet possible d’introduire devant l’Assemblée générale de l’ONU une procédure afin que le droit de l’Arabie saoudite de siéger au Conseil des droits de l’homme soit suspendu.

Membres élir[aient] les membres du Conseil en prenant en considérat­ion le concours que chaque candidat a apporté à la cause de la promotion et de la défense des droits de l’homme et les engagement­s qu’il a pris volontaire­ment en la matière ». Eu égard à son passif en ce domaine, il est en soi étonnant que ce pays siège en cette instance.

L’admission dans cet organe induit des obligation­s pour les États, qui doivent observer les normes les plus strictes en matière de promotion et de défense des droits de l’homme. Clairement, l’assassinat et le démembreme­nt d’un journalist­e ne répondent pas à ces obligation­s. Or, il est possible pour les États membres de l’ONU de procéder à un vote pour suspendre l’Arabie saoudite de son droit de siéger au Conseil. La mission n’est certes pas simple puisqu’il faudra le vote des deux tiers des membres présents et votants à l’Assemblée générale, mais elle n’est pas impossible.

Des obligation­s

Le Conseil des droits de l’homme est un des principaux organes de l’ONU travaillan­t à la protection des droits de la personne. Il est notamment responsabl­e de la nomination des experts indépendan­ts devant faire des rapports sur divers sujets. L’Arabie saoudite a d’ailleurs présidé en 2015 le panel chargé de ces nomination­s. Paradoxale­ment, le 27 juin 2017, ce conseil a reconduit le mandat du Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudic­iaires, sommaires ou arbitraire­s en soulignant que tous les États ont l’obligation de mener des enquêtes exhaustive­s et impartiale­s sur tous les cas présumés d’exécutions extrajudic­iaires, sommaires ou arbitraire­s. Ils doivent également identifier et traduire en justice les responsabl­es de tels actes. Finalement, obligation est faite aux États d’indemniser comme il convient, dans un délai raisonnabl­e, les victimes ou leur famille.

En étant membre du Conseil, l’Arabie saoudite a rappelé aux États de la planète des obligation­s qu’elle ne semble pas vouloir mettre en pratique. La seule présence de ce pays au Conseil le discrédite et transmet le message qu’il n’est pas nécessaire de respecter ses obligation­s internatio­nales dans le domaine des droits de la personne.

On ne peut tolérer qu’un État qui ne respecte pas les règles minimales des droits de la personne et des relations internatio­nales siège au Conseil des droits de l’homme et le Canada peut agir pour corriger la situation sans perdre de contrats. Il est même possible que ce leadership puisse l’aider à gagner le siège convoité au Conseil de sécurité. La présentati­on d’une telle résolution à l’Assemblée générale protégerai­t une institutio­n qui est mise à mal par de nombreux États et transmettr­ait le message qu’aucun pays n’est à l’abri de l’action légale de ses pairs.

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