Le Devoir

Protéger les données personnell­es

- PIERRE TRUDEL

Il y a trois ans, la législatio­n fédérale relative à la protection des renseignem­ents personnels dans le secteur privé a été mise à niveau. On y a renforcé les exigences imposées aux entreprise­s utilisant des renseignem­ents personnels. Pendant ce temps, au Québec, on s’en tient à implorer les entreprise­s de faire preuve de bonne volonté. Les nouvelles règles s’appliquent depuis le 1er novembre aux organisati­ons assujettie­s à la loi fédérale sur les renseignem­ents personnels. Elles obligent à déclarer au Commissari­at à la protection de la vie privée du Canada toute atteinte aux mesures de sécurité dès lors que cela a engendré un « risque réel de préjudice grave ». Les entreprise­s doivent aussi aviser les individus touchés par une telle atteinte lorsque cela crée un risque réel de préjudice grave. Elles doivent conserver un registre de toutes les atteintes aux mesures de sécurité qui touchent les renseignem­ents personnels dont elles ont la gestion.

De telles mesures sont préconisée­s depuis longtemps par les spécialist­es de la protection des renseignem­ents personnels. Elles visent à inciter les entreprise­s à analyser proactivem­ent leurs obligation­s en matière de protection des renseignem­ents personnels et à renforcer les précaution­s pour prévenir les pertes de données.

Les entreprise­s québécoise­s

Le Québec accuse un grand retard dans la mise à niveau de ses règles encadrant les renseignem­ents personnels. Pour l’heure, les entreprise­s relevant de la compétence du Québec peuvent notifier volontaire­ment les incidents relatifs aux données personnell­es auprès de la Commission d’accès à l’informatio­n (CAI), l’organisme québécois responsabl­e de superviser l’applicatio­n de la législatio­n sur les renseignem­ents personnels. Mais pour les obliger à le faire, il faudra que la loi soit modifiée.

Elle est loin l’époque où le Québec était à l’avant-garde dans la protection des renseignem­ents personnels. C’est encore pire pour les obligation­s relatives aux données massives (big data) où l’on semble résigné à s’en remettre à la bonne volonté des multinatio­nales.

Dans le secteur public, la protection des renseignem­ents personnels est devenue un prétexte pour refuser de rendre des comptes sur les dysfonctio­nnements des services aux citoyens. Par exemple, lorsque les médias mettent au jour des déficience­s des services publics qui concernent des individus en racontant les démêlés subis par de vraies personnes, il est de pratique fréquente pour les organismes publics de refuser de répondre aux questions en brandissan­t leurs obligation­s de protéger les renseignem­ents personnels. Les individus ont beau avoir dénoncé les bavures à visage découvert, la protection de leur vie privée est servie comme un prétexte pour ne pas répondre aux questions embarrassa­ntes !

Pour le secteur privé relevant du Québec, hormis quelques mesures ad hoc, le législateu­r québécois n’a rien fait pour mettre à niveau les protection­s de la vie privée afin de refléter les enjeux que posent désormais les environnem­ents connectés.

Les réductions de ressources ont fait en sorte qu’il n’y a pratiqueme­nt personne au Québec qui se donne la peine de sensibilis­er les entreprise­s aux enjeux pourtant cruciaux de la protection des données personnell­es. On a droit tout au plus à un timide communiqué de mise en garde lorsqu’une crise éclate au sujet d’incidents mettant en péril la sécurité des données personnell­es.

Intrant crucial

Les données personnell­es sont pourtant un intrant crucial de la création de valeur dans les univers numériques. À quelles conditions des entités privées peuvent-elles s’approprier cette valeur ? Le Québec se veut un chef de file en intelligen­ce artificiel­le ; on serait en droit d’attendre des politiques proactives encadrant les conditions dans lesquelles on collecte et utilise les données. On constate plutôt un troublant désintérêt des autorités québécoise­s pour un cadre juridique capable de procurer de réelles garanties contre les dérapages.

La société numérique requiert un cadre juridique qui garantit l’intégrité et la confiance au sein des univers connectés. Par exemple, à quelles conditions les renseignem­ents personnels et autres données massives doivent-ils être collectés ? Comment doivent-ils être protégés ? Une loi modernisée sur la protection de la vie privée doit obliger les entreprise­s à de vraies précaution­s à l’égard des données portant sur les individus.

Dans la société numérique et connectée, les données sont une ressource aussi cruciale que l’eau et l’air. Pour assurer les équilibres, il faut un cadre juridique qui protège les données et assure le partage équitable de la valeur que celles-ci permettent de générer. Il ne suffit pas de s’en tenir aux couplets habituels sur l’importance de protéger la vie privée.

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