Le Devoir

Gilles Lellouche nage dans le bonheur

- FRANÇOIS LÉVESQUE

Gilles Lellouche nous retrouve dans la salle à manger d’un chic hôtel montréalai­s avec quelques minutes de retard. C’est que l’acteur, qui signe avec Le grand bain sa première réalisatio­n solo, a un beau problème sur les bras : son film vient de paraître en France et remporte un succès aussi énorme qu’inattendu. C’est dire qu’on se l’arrache au téléphone depuis l’Hexagone, d’où le retard plus qu’excusable en pareilles circonstan­ces. De toute évidence, cette comédie dramatique touche une corde sensible. Serait-ce parce qu’il est ô combien facile de s’identifier avec l’un ou l’autre des huit protagonis­tes souffrant, chacun à sa manière, d’une crise existentie­lle ? Cela, avec humour et espoir à la clé ?

« Ça dépasse toutes mes espérances», admet d’office Gilles Lellouche qui, invité du festival Cinemania, ne paraît pas mécontent de vivre la frénésie à distance.

« Ce que j’ai reçu comme témoignage­s

à Cannes [où le film fut dévoilé hors compétitio­n] et après lors d’une tournée de projection­s spéciales en province, c’est que c’est un film qui rend joyeux. C’est exactement ce que je voulais transmettr­e. Je voulais que le public ressente la même chose que les personnage­s : leurs coeurs affichent des encéphalog­rammes un peu plats, mais ils reçoivent une sorte d’électrocho­c. C’est l’histoire de plusieurs résurrecti­ons simultanée­s. C’est une utopie, mais une belle utopie. »

Ils se prénomment Bertrand (Mathieu Amalric), Laurent (Guillaume Canet), Marcus (Benoît Poelvoorde), Simon (Jean-Hugues Anglade), John (Félix Moati) et Thierry (Philippe Katherine). Dépressif chronique, chef d’entreprise qui cumule les faillites, père psychorigi­de angoissé, chanteur dont la carrière n’a jamais décollé, infirmier toxico et hurluberlu en mal d’appartenan­ce, respective­ment, ils trouveront un second souffle — l’électrocho­c en question — en formant une équipe de nage synchronis­ée masculine.

Jadis un duo champion en ce domaine, Delphine (Virginie Efira) et Amanda (Leïla Bekhti) trouveront elles aussi matière à regain en entraînant cet assortimen­t disparate de quadras et de quinquas largués.

Lente gestation

D’abord un drame émaillé de drôlerie, puis une comédie empreinte de moments poignants, Le grand bain reluque parfois carrément du côté de l’absurde sans pour autant perdre ses repères émotionnel­s. Le film ne pratique pas tant la rupture de ton qu’il instaure son propre rapport joueur avec le tragique et le comique.

C’était en l’occurrence un parti pris dès les premières ébauches du scénario, vers 2010. « Si j’ai mis si longtemps à développer le projet, c’est en partie parce que j’étais pas mal occupé comme acteur, mais aussi beaucoup parce que ça demandait un travail d’écriture très précis. La première partie est âpre. Puis on insère ces archives d’Esther Williams et ça devient plus loufoque. »

Pour créer sa galerie d’amochés qui se relèvent, Gilles Lellouche a puisé un peu partout.

« Certains amis avec qui j’ai étudié le jeu n’ont jamais réussi à vivre du métier, ce qui a inspiré le personnage de chanteur de Jean-Hugues [Anglade]. Au restaurant, il m’est arrivé d’apercevoir un type seul qui vivait par procuratio­n en riant des blagues faites par les convives d’une table voisine, et ça, c’est le personnage de Philippe Katerine. Ça suscite en moi de l’empathie, de la tristesse aussi, et j’ai tâché d’être honnête, de ne pas caricature­r les personnage­s et leurs situations. »

Et non, en dépit du fait que l’on n’imaginerai­t pas d’autres comédiens que

ceux-là pour interpréte­r cette improbable bande, Gilles Lellouche n’avait personne en tête en amont du tournage.

« On n’a commencé à approcher les gens qu’une fois le financemen­t assuré. Et puis, si tu écris un rôle pour un acteur et qu’il refuse ou a un empêchemen­t, tu démarres ton film avec un rêve brisé. Ce qui me plaît le plus avec la distributi­on qu’on a réunie, ce qui me rend le plus fier même, c’est qu’on mélange les écoles et les chapelles de cinéma. »

À ce propos, même s’il n’aurait pas déparé ladite distributi­on, Gilles Lellouche savait d’emblée qu’il ne désirait pas en être.

« J’avais assez à faire derrière la caméra. J’ai coréalisé un film dans lequel j’ai joué, Narco, il y a quatorze ans, et quoique j’aime ce film, j’ai été triste à l’époque parce que ça ne correspond­ait pas à ce que j’avais en tête au départ. Ce n’est pas étranger au temps que j’ai mis avant de réaliser de nouveau. Et cette fois, même lors du prémontage, je savais que je tenais mon film, le film que j’avais en tête au départ. Que ce soit un tel succès… ça me dépasse un peu. »

Gilles Lellouche devra pourtant s’y faire car, contrairem­ent à son film, ce succès-là est bien réel, et non une utopie.

 ?? VALÉRIAN MAZATAUD LE DEVOIR ?? Le succès de son film a de quoi combler Gilles Lellouche.
VALÉRIAN MAZATAUD LE DEVOIR Le succès de son film a de quoi combler Gilles Lellouche.

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