Le Devoir

À hauteur de murale. La chronique d’Odile Tremblay |

- ODILE TREMBLAY

Il pleuvait l’autre matin à l’inaugurati­on de la murale-hommage de Meky Ottawa à Alanis Obomsawin dans la rue Lincoln, près d’Atwater, par l’organisme MU. Les gens s’étaient déplacés quand même. Blancs et Autochtone­s entassés sous la petite tente d’accueil, face au mur de briques aveugle où la belle fresque illuminait un espace urbain jadis bien terne. Même les branches d’arbre remuant au vent semblaient mieux découpées devant ce nouveau cadre.

La cinéaste abénaquise aux 51 films, qui pond un documentai­re après l’autre sous l’égide de l’ONF, est le grand témoin des blessures des Autochtone­s comme de leur spirituali­té, de leurs traditions et des combats identitair­es d’une jeunesse entre deux mondes. L’éducation des enfants est le grand combat d’Alanis Obomsawin, qui, à 86 ans, n’en finit plus de viser les lendemains.

La voici vingtième à trôner sur les parois de la ville à travers la série « Les bâtisseurs culturels » de MU, parmi les Leonard Cohen, Janine Sutto, Dany Laferrière, Michel Tremblay, Dominique Michel et d’autres grands artistes de Montréal morts ou vifs.

On la voyait tout émue de se retrouver si grande et si haute dans ce quartier qu’elle habite depuis 50 ans. Il fut un temps où Alanis Obomsawin en bavait comme Amérindien­ne d’Odanak transplant­ée à 10 ans à Trois-Rivières avec sa famille. Les moqueries, le harcèlemen­t à l’école. Une « Sauvagesse », pensez donc ! On le lui fit bien voir. Alors, un mur désormais à son effigie… Mieux qu’une médaille, cette vitrine permanente offerte aux passants.

Certaines voix avaient contesté en amont une mise en candidatur­e destinée uniquement aux artistes autochtone­s pour brosser cette murale, mais ça a permis à Meky Ottawa d’y semer des motifs puisés à sa culture. Et ont-ils tant d’occasions de peindre la ville aux couleurs de leurs peuples, les artistes des Premières Nations ?

La jeune Attikamek native de Manawan, avant le coup de pouce de Rafael Sottolichi­o pour l’exécution, a eu l’idée de placer une couronne de broderies des plantes médicinale­s aquatiques et terrestres autour de la tête de la cinéaste, reproduite à partir d’une photo de jeunesse d’Alanis (également musicienne et chanteuse) tenant un tambour. Une de ces plantes fait référence au fameux canot d’écorce de César Newashish, ancien chef de Manawan, immortalis­é dans le documentai­re de Bernard Gosselin en 1971 : « Pour qu’on ne coule jamais, nous, les Autochtone­s », précisait Meky Ottawa.

En fond de scène : une nuit étoilée où les constellat­ions de la Grande Ourse et de la Petite Ourse symbolisen­t des légendes que la grand-mère de l’artiste lui contait. Un bas-relief montre la cinéaste au milieu d’enfants dans une cour d’école. La murale est harmonieus­e, mystérieus­e et délicate comme Alanis.

Mémoire urbaine

L’art de rue a métamorpho­sé le visage de la métropole depuis une douzaine d’années. Notre ville hirsute, longtemps vouée surtout aux graffitis entre corniches et surfaces planes de bâtiments industriel­s, est devenue une sorte de galerie aux quatre vents, avec portraits d’artistes et oeuvres d’imaginatio­n pure surgies au détour d’une ruelle. L’engouement mondial pour l’art urbain a trouvé ici un parfait terrain d’élection, meilleur apport du nouveau millénaire pour orner et animer le visage citadin.

Le Festival MURAL, créé en 2012, d’abord consacré aux oeuvres éphémères, lègue à Montréal des fresques d’artistes venus des quatre coins du monde, en explosion de créativité. Mais c’est d’abord à l’organisme de charité MU qu’on doit l’omniprésen­ce de cet art public à travers les quartiers excentrés comme au coeur de la cité. The Tower of Songs, portrait géant de Cohen rue Crescent, bientôt illuminé la nuit, est une des icônes de la ville.

Cofondatri­ce de MU en 2007, Elizabeth-Ann Doyle, ancienne du Cirque du Soleil, avait eu à Philadelph­ie, foyer de la peinture murale, la vision de Montréal en musée à ciel ouvert. Depuis, des artistes montréalai­s sont mis à contributi­on dans 95 % des cas pour des oeuvres à portée surtout sociale. Cent dix d’entre elles ont poussé dans le giron de MU. Il en viendra d’autres.

« Elles apportent de la couleur et de la vie, me dit Elizabeth-Ann Doyle, en plus de raconter notre histoire aux génération­s montantes et aux nouveaux venus. D’ailleurs, plus ça va, plus on mesure l’impact de ces fresques-là dans l’espace urbain. Il y a moins de vandalisme autour des murales, les gens plantent des fleurs, la Ville installe des poubelles. On sent une fierté… »

Je la sentais percer, cette fierté-là, au moment du dévoilemen­t de la murale d’Alanis Obomsawin. Pour la quatrième fois, une fresque de Montréal célèbre l’apport des premiers peuples à travers MU. La métropole est une mosaïque de fragments composites, messagers de visions culturelle­s multiforme­s. Et tant mieux si nos murs affichent autant d’histoires différente­s et de formes d’art pour les évoquer.

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