Le Devoir

#MoiAussi a eu plus de résonance au Québec qu’ailleurs au Canada

- MAGDALINE BOUTROS

Le Québec est l’endroit au pays où le mouvement #MoiAussi a résonné avec le plus de force. Dans la foulée de cet élan de libération de la parole des femmes, qui a jailli en octobre 2017, le taux d’agressions sexuelles confirmées par la police a bondi de 61 % au Québec. À l’échelle du pays, la variation moyenne enregistré­e est de 24 %.

Ces données, compilées par Statistiqu­e Canada et dévoilées jeudi, s’appuient sur les informatio­ns fournies par les services de police. Elles ne concernent que les dénonciati­ons jugées fondées par la police. Statistiqu­e Canada compare ainsi la période précédant l’éclosion du mouvement #MoiAussi — du 1er janvier 2016 au 30 septembre 2017 — à celle la suivant — 1er octobre 2017 à 31 décembre 2017.

Pour Stéphanie Tremblay, porte-parole du Regroupeme­nt québécois des centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (RQCALACS), le mouvement #MoiAussi a permis une explosion des dénonciati­ons puisque « les survivante­s se sont senties soutenues par la société, elles ont senti qu’elles avaient le droit de porter plainte et qu’elles seraient crues ».

Au Québec, la hausse de 61 % notée — qui a fait passer le nombre de victimes par tranche de 100 000 habitants de 12,4 à 20 — est bien au-delà des augmentati­ons enregistré­es dans les autres provinces. Terre-Neuve-et-Labrador se situe au second rang avec une variation de 36% et le Manitoba suit avec une hausse de 27 %. Toutes les autres provinces et l’ensemble des territoire­s affichent des variations inférieure­s à la moyenne canadienne de 24 %.

Les régions métropolit­aines de recensemen­t où les plus fortes hausses ont été consignées sont Québec (78 %), Sherbrooke (76 %), Brantford en Ontario (76 %), Saguenay (69 %) et Montréal (67 %).

Selon Franca Cortoni, psychologu­e spécialisé­e en délinquanc­e sexuelle et professeur­e de criminolog­ie à l’Université de Montréal, le fait qu’Éric Salvail et Gilbert Rozon, deux personnali­tés « très présentes dans l’oeil du public », aient été la cible de dénonciati­ons a pu créer une « sensibilis­ation particuliè­re au Québec». Gilbert Rozon nie les faits qui lui sont reprochés.

Une analyse que partage Stéphanie Tremblay. «On sait que lorsque des personnali­tés publiques dénoncent publiqueme­nt des agressions sexuelles, ça a un impact », souligne-t-elle, rappelant la hausse des dévoilemen­ts survenus en 2005 après que Nathalie Simard eut brisé le silence. Mais cette hausse des dénonciati­ons ne signifie pas pour autant que plus d’agressions sexuelles surviennen­t au Québec.

« Il n’y a rien qui nous indique qu’il y a [une plus grande prévalence] au Québec », insiste Mme Cortoni.

Répercussi­ons réelles

La naissance du mot-clic #MoiAussi a eu des répercussi­ons bien réelles dans la vie de nombreuses femmes.

En octobre 2017 seulement, Statistiqu­e Canada révèle que la police a confirmé près de 2500 cas d’agressions sexuelles. Le nombre d’agressions sexuelles déclarées par la police en 2017 a été plus élevé que lors de toute autre année depuis 1998. Dans la foulée de #MoiAussi, 74 victimes d’agression sexuelle ont été déclarées en moyenne chaque jour par la police, comparativ­ement à 59 auparavant. Un chiffre qui ne représente qu’une portion des victimes, puisque ce ne serait qu’une faible proportion des agressions sexuelles qui seraient rapportées aux autorités.

L’impression voulant que #MoiAussi ait permis avant tout de déterrer de vieilles histoires n’est pas confirmée par les données de Statistiqu­e Canada.

Avant comme après #MoiAussi, la vaste majorité des dénonciati­ons concernent une agression survenue le jour même (47 %) ou lors du mois précédent (26%). Une hausse des dévoilemen­ts touchant des agressions commises il y a plus de 10 ans a été notée, mais elle ne touche que 8% des cas. Avant comme après #MoiAussi, les femmes sont les principale­s victimes d’agression sexuelle, dans une proportion de 90 %.

Difficile de prédire si les effets du mouvement #MoiAussi continuero­nt à se faire sentir. Depuis quelques mois, Stéphanie Tremblay note une hausse des demandes pour les ateliers de sensibilis­ation offerts par les CALACS, ce qui pourrait avoir un effet encore plus profond sur la prévention des violences à caractère sexuel.

De son côté, Franca Cortoni dit espérer que des effets se feront sentir sur le système de justice, pour qu’il parvienne à mieux accompagne­r les victimes d’agression sexuelle.

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR Le Québec est l’endroit au pays où le mouvement #MoiAussi a résonné avec le plus de force.
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Variation du taux d'agressions sexuelles déclarées

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