Le Devoir

Bombardier élimine 5000 emplois

Au Québec, 2500 postes seront abolis d’ici 12 à 18 mois, principale­ment dans le secteur aéronautiq­ue

- FRANÇOIS DESJARDINS

Rencontrés aux abords du complexe de Bombardier dans l’arrondisse­ment de Saint-Laurent, où se trouve un centre de développem­ent de produits reposant sur des cerveaux d’ingénieurs, les employés sortis pour manger n’avaient pas encore toutes les réponses à leurs questions jeudi midi, mais l’un d’eux a résumé ainsi ce qu’il voit comme une trame de fond. « Ça arrive tous les deux ans. C’est devenu une routine. »

Concentrée plus que jamais sur le resserreme­nt de ses coûts, Bombardier a pris les milieux politique et syndical de court jeudi matin en annonçant la suppressio­n prochaine de 5000 postes, dont 2500 au Québec, et la vente de deux morceaux de l’entreprise — les avions Q400 et un programme de formation — afin de se dégager des marges de manoeuvre supplément­aires.

Alors que le président de la société a mentionné la fin des grands investisse­ments et la concrétisa­tion de la « pleine valeur du portefeuil­le » de Bombardier,

Les abolitions de postes permettron­t à Bombardier d’économiser 250 millions par année

de plus en plus tourné vers les avions d’affaires et le matériel roulant, le premier ministre François Legault a parlé d’une « journée triste », promettant de tout faire pour minimiser les pertes d’emplois.

Les abolitions de postes, qui se convertiro­nt en économies de 250 millions par année à terme, auront lieu sur 12 à 18 mois, mais plusieurs croient que les employés se retrouvero­nt vite un emploi, compte tenu de la santé de l’industrie. L’entreprise montréalai­se, qui se trouve dans la dernière ligne droite d’un redresseme­nt devant aboutir en 2020, a fait les annonces en même temps que la publicatio­n d’un bénéfice net au troisième trimestre. Puisque l’entreprise a tourné la page sur les investisse­ments majeurs, a dit son président Alain Bellemare, il faut redéployer des ingénieurs aéronautiq­ues vers la division des avions d’affaires. Le programme CSeries a été cédé à Airbus en juillet.

« Nous venons de finaliser la phase des investisse­ments majeurs, avec la certificat­ion du Global 7500, le meilleur avion d’affaires au monde », a dit M. Bellemare lors d’une conférence téléphoniq­ue avec des analystes.

« Nous avons aussi réalisé plus vite que prévu notre partenaria­t avec Airbus, ce qui a complèteme­nt réduit le risque associé au programme CSeries, dont la plateforme des appareils A220 va créer de la valeur pour les actionnair­es et les clients à long terme.» Airbus détient 50,01 % du programme A220, basé à Mirabel, contre 33,55 % pour Bombardier et 16,44 % pour Investisse­ment Québec.

Bombardier abolira donc 7 % des 69 500 emplois de la société. La restructur­ation, dont l’impact au Canada touchera surtout l’aéronautiq­ue, entraînera aussi la disparitio­n de 500 emplois en Ontario. Dans le monde, l’aéronautiq­ue encaissera 75 % des 5000 abolitions, comparativ­ement à 25% pour le matériel roulant.

Surtout l’aéronautiq­ue

Parmi les actifs que Bombardier a vendus figure le programme d’avions Q400, en Ontario, et la marque de commerce de Havilland, pour 300 millions. L’acheteur est Longview Aviation Capital, en Colombie-Britanniqu­e. La compagnie cède aussi le programme de formation des pilotes et technicien­s d’avions d’affaires au groupe montréalai­s CAE, spécialisé dans les simulateur­s de vol, pour des redevances totalisant 800 millions. Après des ajustement­s, le produit net des ventes sera de 900 millions.

En Bourse, le titre de Bombardier a perdu 24 %, à 2,41 $.

« Nous sommes déçus et c’est un peu surprenant », a dit le coordonnat­eur de l’Associatio­n internatio­nale des machiniste­s et des travailleu­rs et travailleu­ses de l’aérospatia­le (AIMTA), David Chartrand. « On s’attendait à ce qu’il se passe quelque chose avec les Q400, car ils ont vendu les terrains. Mais on n’a pas vu venir les abolitions de postes, car le vent était en train de tourner et les choses s’amélioraie­nt. »

Se replacer rapidement

Bombardier compte au Québec 15 000 employés syndiqués et non syndiqués dans l’aéronautiq­ue.

« Ce qui frustre le plus nos membres, et même ceux qui ne le sont pas, c’est qu’ils ne savent pas encore qui sera touché. » Cela dit, les emplois dans l’industrie aérospatia­le ont augmenté de 4 % l’an dernier au Québec, a-t-il précisé.

« Ces gens vont se trouver des emplois aussitôt sortis », a affirmé Mehran Ebrahimi, professeur et directeur du Groupe d’étude en management des entreprise­s de l’aéronautiq­ue (GEME Aéro) de l’UQAM.

« Il y a un tel besoin de main-d’oeuvre dans le secteur aéronautiq­ue. Ils y seront d’autant plus les bienvenus que les autres entreprise­s ont souvent du mal à trouver des talents qui ont le niveau d’expertise que peut attirer et développer une compagnie comme Bombardier. »

Le ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, s’est engagé à élaborer un

[Les travailleu­rs] seront d’autant plus les bienvenus que les autres entreprise­s ont souvent du mal à trouver des talents qui ont le niveau d’expertise que peut développer une compagnie comme Bombardier MEHRAN EBRAHIMI

« plan de remédiatio­n », dont il discutera le déploiemen­t avec des acteurs de la grappe aérospatia­le lundi prochain.

« Pour rassurer les travailleu­rs, j’aimerais leur dire que l’industrie de l’aérospatia­le est solide. […] On va essayer de faire le plus possible pour atténuer complèteme­nt [les impacts] de cette annonce-là », a-t-il déclaré. Il a ajouté que les nouvelles mises à pied frappent «de plein fouet 2500 travailleu­rs et leur famille ».

À Ottawa, le premier ministre Justin Trudeau a dit que le gouverneme­nt travaille avec l’entreprise.

Résultats

Au cours du trimestre, Bombardier a enregistré des revenus de 3,6 milliards et un bénéfice net de 149 millions, contre une perte de 100 millions l’an dernier.

La division transport a généré des revenus de 2,1 milliards, contre 1,08 milliard dans les avions d’affaires et 256 millions dans les avions commerciau­x. Bombardier a indiqué aux analystes que le programme des avions régionaux CRJ, qui a déjà fait sa gloire, n’est pas rentable à l’heure actuelle.

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