Le Devoir

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- ROBERT DUTRISAC

Par le truchement de son rapport financier trimestrie­l, la filiale aéronautiq­ue de Bombardier a annoncé la suppressio­n de 2500 postes au Québec, sur un total de 13 000 employés, ainsi que la vente d’actifs dit « non stratégiqu­es», soit le programme d’avions Q Series, basé dans la région de Toronto, à Longview Aviation Capital Corp., de Colombie-Britanniqu­e, et ses activités de formation de pilotes et de technicien­s pour ses avions d’affaires à CAE, une multinatio­nale montréalai­se.

Avant tout, il y a la manière. Bombardier, qui s’est allègremen­t abreuvée aux mamelles de l’État au fil des ans, n’a pas discuté de sa restructur­ation avec le gouverneme­nt québécois. Pris de court, le nouveau ministre caquiste de l’Économie et de l’Innovation, Pierre Fitzgibbon, en fut quitte, jeudi, à faire des bulles devant les médias, n’ayant pas de solution concrète à proposer. Le syndicat qui représente la plupart des employés de Bombardier Aéronautiq­ue, l’Associatio­n des machiniste­s et des travailleu­rs et des travailleu­ses de l’aérospatia­le, l’a appris en même temps que tout le monde. Comme le soulignait Michel Nadeau, de l’Institut sur la gouvernanc­e (IGOPP), il s’agit d’une manière d’agir typiquemen­t américaine.

C’est d’autant plus cavalier que depuis l’investisse­ment, en 2016, de 1,3 milliard du gouverneme­nt Couillard dans la C Series, dont le contrôle fut cédé à Airbus pour un dollar, le président et chef de la direction, Alain Bellemare, et quatre autres hauts dirigeants se sont partagé plus de 40 millions en salaires et primes. Ces dirigeants profitent, et continuero­nt à profiter, du redresseme­nt d’une entreprise que seul l’engagement de l’État a pu maintenir en vie.

Soulignons que l’annonce ne touche pas le partenaria­t de la C Series que Bombardier, qui en détient près du tiers, a retiré de son périmètre comptable. De ce côté-là, le partenaria­t tient bon, les commandes sont au rendezvous et les emplois ne sont pas menacés.

Bombardier se donne entre 12 et 18 mois pour licencier les 2500 employés visés, qui représente­nt environ 20 % de ses effectifs en aéronautiq­ue. On peut croire que bon nombre des ingénieurs, technicien­s et machiniste­s mis à pied retrouvero­nt un emploi dans la grande région de Montréal. Le secteur de l’aéronautiq­ue, qui compte 40 000 employés au Québec, est frappé, comme d’autres, par des pénuries de main-d’oeuvre. Dans un sens, le moment est bien choisi pour faire ces licencieme­nts alors que bien des entreprise­s dans le domaine affichent des postes à pourvoir.

En aéronautiq­ue, la société entend se concentrer sur ses programmes les plus prometteur­s et les plus rentables, soit l’aérostruct­ure, c’est-àdire la fabricatio­n d’ailes, de fuselages et autres pièces d’avions, ainsi que la production de jets d’affaires de la nouvelle génération, les Global 7500, 6500 et 5500, dont le développem­ent est à peu près terminé et qui sont mûrs pour la commercial­isation. Mûrs pour permettre à Bombardier d’engranger des profits.

Pour l’heure, Bombardier cherche avant tout à améliorer ses marges bénéficiai­res et ses flux financiers à court terme, d’ici 2020. Le mode de rémunérati­on de ses dirigeants les encourage fortement à agir de la sorte en raison d’un régime d’options qui peuvent être exercées dans deux ans.

C’est l’avenir à moyen et long terme de Bombardier Aéronautiq­ue — après qu’Alain Bellemare et consorts seront à nouveau passés à la caisse — qui devient préoccupan­t. Le « cycle d’investisse­ments massifs en aéronautiq­ue étant terminé, Bombardier rajustera la taille de son équipe centrale d’ingénierie aéronautiq­ue et la redéploier­a », principale­ment dans sa division Avions d’affaires, peut-on lire dans le communiqué diffusé jeudi.

Ainsi, Bombardier laisse planer la possibilit­é qu’elle vende sa division d’avions régionaux CRJ, qui a fait sa renommée, mais qui affronte à l’heure actuelle la féroce concurrenc­e de la brésilienn­e Embraer, maintenant contrôlée par Boeing. « Comme nous visons le retour à la rentabilit­é du programme CRJ, nous évaluons également les options stratégiqu­es qui s’offrent pour ce programme », peut-on lire. Dans le jargon capitalist­e, « évaluer les options stratégiqu­es » signifie chercher un acquéreur, que ce soit sous forme de partenaria­t ou non.

En clair, l’avionneur a achevé ou presque le développem­ent de ses nouveaux jets d’affaires et n’a aucun projet de recherche-développem­ent en vue de concevoir des avions régionaux qui seraient appelés à remplacer les CRJ. C’est une mauvaise nouvelle pour l’ensemble de la filière québécoise de l’aéronautiq­ue qui doit compter l’innovation de son fleuron pour assurer sa pérennité et son dynamisme. D’emblée, le ministre Fitzgibbon a du pain sur la planche.

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