Le Devoir

Histoire et enjeux d’un armistice

- Mourad Djebabla Collège militaire royal, Saint-Jean-sur-Richelieu

Il y a 100 ans, le 11 novembre 1918, un armistice est signé, mettant fin aux combats de la Première Guerre mondiale. Au Canada, c’est un soupir de soulagemen­t qui prévaut : la guerre est enfin finie ! À Montréal, le gros bourdon de NotreDame sonne à toute volée, accompagné par les cloches des églises. La première réaction est une joie débordante en pensant au retour prochain des soldats volontaire­s ou conscrits. La fin des hostilités annonce aussi la fin des privations et pressions liées à l’effort de guerre. C’est sans compter que, jusque-là, le mois de novembre a été éprouvant à cause de la grippe espagnole : de 30 à 40 morts en moyenne par jour à Montréal. L’annonce de l’armistice est une lueur dans un quotidien bien terne.

La joie s’exprime aussi par une parade militaire dans la rue Sherbrooke. Cette parade, initialeme­nt prévue pour encourager l’épargne de guerre, la fin des combats en fait le défilé de la victoire. Mais cette euphorie collective est rattrapée par la conscience du prix payé et, très vite, cette joie retombe et le deuil s’installe.

Le paradoxe du 11 novembre 1918 est d’être une victoire endeuillée. Le traumatism­e de la mort de masse fait naître le besoin de donner un sens aux disparus, en plus d’un devoir de reconnaiss­ance pour ne pas oublier leur sacrifice. Pour la première fois après un conflit, au regard des pertes, le besoin d’un deuil collectif émerge.

Au Canada, ce besoin est d’autant plus présent que les corps sont absents. Très tôt, des monuments aux morts émergent, lieu de ralliement des deuils et suprême hommage d’une communauté au sacrifice des siens. Les communauté­s canadienne­s-anglaises, si présentes dans le Corps expédition­naire canadien, sont les plus actives pour ériger ces monuments. Au contraire, devant l’inaction des Montréalai­s pour un tel projet, le cénotaphe de Montréal est offert à la ville par une associatio­n patriotiqu­e canadienne. Si la mise en place du monument reflète les tensions du temps de guerre, le deuil des disparus commande de les taire. Autour de ces monuments, le noir des veuves domine et leurs silhouette­s hanteront les cérémonies du 11 novembre jusqu’à leur disparitio­n progressiv­e au fil des décennies.

Une invention britanniqu­e

La cérémonie du 11 novembre, établie dès 1919, est une invention britanniqu­e. C’est de Londres que vient l’idée d’observer deux minutes de silence à la date anniversai­re de l’armistice, silence devant unir l’Empire autour des disparus. Mais le Canada de l’après-guerre n’est plus celui de l’été 1914. Le poids des 60 000 morts constitue l’assise aux prétention­s à plus d’autonomie vis-à-vis de la métropole. C’est sur ses morts et ses anciens combattant­s que le Canada développe un discours national pour offrir au monde, et aux Canadiens eux-mêmes, l’image d’une nation adulte et maîtresse de sa destinée. Le point culminant de ce discours est le dévoilemen­t du Monument commémorat­if du Canada à Vimy en 1936.

Au Canada, la cérémonie du 11 novembre a une aura particuliè­re, surtout depuis 1921 alors que, sous la pression des anciens combattant­s, le Parlement vote la Loi du jour de l’Armistice, modifiée, en 1931, en Loi du jour du Souvenir. La commémorat­ion du 11 novembre se développe alors comme un moment clé de communion nationale autour des disparus et des vétérans du premier conflit mondial. Leur sacrifice constitue le socle du Canada contempora­in.

Au sein du discours national canadien, qui s’impose dans les années 1920-1930, nulle place n’est faite aux différence­s ou aux tensions passées. De fait, les Canadiens français se détournent de cette mémoire canadienne englobante. Très longtemps, le Québec a boudé cette cérémonie du 11 novembre. Ce n’est que depuis la fin des années 1990, à la faveur d’anniversai­res commémorat­ifs et de travaux d’historiens sur la place des Canadiens français dans les conflits mondiaux, que la tendance tend à s’inverser. Cependant, avec la disparitio­n des derniers vétérans des guerres mondiales, le 11 novembre devient un instant de communion entre les Canadiens et les membres des Forces armées canadienne­s. Cette dimension militaire nourrit des réticences au Québec, que l’on pense à la polémique du coquelicot blanc : le Québec veut préserver sa singularit­é face à ce qui est vu comme une valorisati­on du passé militaire canadien. La commémorat­ion du 11 novembre n’est en rien un exercice dépourvu de sens au Canada.

La guerre est-elle finie pour autant, ce 11 novembre 1918 ? Si les peuples alliés pleurent leurs morts et clament « Plus jamais ça », en Allemagne, des groupes d’extrême droite parlent rapidement de revanche. Devant une paix impossible, le souvenir des disparus de 14-18 ne parvient pas à freiner la marche vers la Deuxième Guerre mondiale. Hitler savoure sa revanche le 22 juin 1940, quand il impose à la France vaincue de signer un armistice à l’endroit même où l’Allemagne avait dû le faire le 11 novembre 1918. Il fait ensuite dynamiter les lieux pour en effacer toutes traces. Le centenaire de l’armistice de 1918 nous rappelle aussi combien la paix peut être fragile face aux extrêmes.

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JUSTIN TANG LA PRESSE CANADIENNE Au Canada, la cérémonie du 11 novembre se développe comme un moment clé de communion nationale autour des disparus et des vétérans du premier conflit mondial. Leur sacrifice constitue le socle du Canada contempora­in.

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