Le Devoir

L’état de l’industrie aérospatia­le québécoise n’est pas ce qu’il paraît

- ÉRIC DESROSIERS

On pourrait être porté à voir dans les mises à pied et les ventes d’activités annoncées jeudi par Bombardier une « catastroph­e » pour les employés directemen­t touchés, le signe d’un secteur aéronautiq­ue québécois en déclin et la preuve que les gouverneme­nts n’auraient jamais dû mettre de l’argent public dans cette galère. On aurait trois fois tort.

Il est compréhens­ible qu’après l’annonce, par la multinatio­nale montréalai­se, de la mise à pied de 5000 de ses 70 000 employés dans le monde, dont 2500 sur les 15 000 qu’elle compte au Québec seulement, on s’en fasse d’abord pour les travailleu­rs qui apprendron­t, quelque part au cours des 18 prochains mois, qu’ils ont perdu leur emploi.

La nouvelle est d’autant plus troublante qu’elle a été présentée comme un autre « solide progrès dans l’exécution [d’un] plan de redresseme­nt » par des dirigeants qui, non seulement n’ont rien à craindre pour leur propre emploi, mais se sont partagé à cinq 40 millions en rémunérati­on l’an dernier.

Mais qu’on se rassure, les travailleu­rs touchés ne resteront pas longtemps au chômage, disent les observateu­rs.

Croulant sous les contrats, les entreprise­s du secteur sont forcées d’en refuser faute de têtes et de bras, rapportent-ils. « Ma plus grande crainte aujourd’hui est que les jeunes et leurs parents retiennent qu’il n’y a pas d’avenir dans l’industrie aéronautiq­ue alors que la réalité est exactement le contraire et que notre problème est le manque de main-d’oeuvre », s’est exclamé au Devoir Suzanne Benoît, p.-d.g. d’Aéro Montréal, la grappe industriel­le du secteur au Québec.

De saignée à transfusio­n

Probableme­nt issus principale­ment des équipes de conception et de développem­ent des avions commerciau­x CSeries et des avions d’affaires Global désormais rendus à l’étape de production, les travailleu­rs de Bombardier bientôt mis à pied disposeron­t d’une expertise qui serait précieuse dans les quelque 200 autres entreprise­s québécoise­s de ce secteur, qui tirent souvent de la patte en matière d’innovation, estime l’expert de l’UQAM Mehran Ebrahimi.

Ce qui est présenté comme une saignée chez Bombardier pourrait se révéler une transfusio­n de sang frais dans d’autres compagnies qui font affaires avec les autres grands de l’industrie

Ce qui est présenté comme une saignée chez Bombardier pourrait ainsi se révéler, en fait, une transfusio­n de sang frais dans ces autres compagnies qui font affaire, non seulement avec Bombardier, mais aussi avec les autres grands de l’industrie, comme Airbus et Boeing, mais aussi CAE, Pratt & Whitney, Bell Helicopter, Héroux-Devtek ou CMC Electronic­s au Québec.

Quant à Bombardier, il est difficile de se défaire de l’impression que celui qui s’est longtemps vanté d’être le troisième fabricant aéronautiq­ue au monde est en train aujourd’hui d’organiser sa sortie, à tout le moins du secteur des avions commerciau­x.

On a annoncé hier la vente de la production de ses avions à hélices Q400 et Dash 8 et on dit réfléchir à l’avenir des fameux jets régionaux qui ont fait sa gloire dans le passé, mais qui ne se vendent presque plus dans un marché où la concurrenc­e est de plus en plus nombreuse et féroce.

Quant à la fameuse CSeries, dont les coûts de développem­ent l’ont amené au bord de la faillite et qui a été rebaptisée A220 quand on en a donné un peu plus de la moitié des actions à Airbus, personne ne serait surpris d’apprendre, dans un plus ou moins proche avenir, que le géant européen rachète toute l’affaire à Bombardier (33,6 % des actions) et au gouverneme­nt du Québec (16,4 %).

Bombardier aboutirait ainsi là où il a commencé en aéronautiq­ue dans les années 1980, c’est-à-dire dans les avions d’affaires, qui ont rapporté 1 milliard à la compagnie au dernier trimestre, contre 2 milliards pour les trains et autres métros et moins de 260 millions pour les avions commerciau­x.

Les règles du jeu

Les gouverneme­nts ont-ils eu tort alors d’apporter de l’aide financière à Bombardier ? Tous les pays qui ont une industrie aérospatia­le apportent à celleci une telle aide, souvent plus généreuse, martèlent les experts.

« Même le Maroc donne plus en proportion », observe Mehran Ebrahimi. Au Québec, le secteur représente plus de 40 000 emplois, bien payés, dans un secteur technologi­que, et des ventes annuelles de 14 milliards, dont 80 % à l’étranger.

Une aide d’urgence comme le milliard de dollars américains que Québec a investis en catastroph­e pour sauver la CSeries n’est évidemment pas l’idéal toutefois.

L’expert de l’UQAM préférerai­t, par exemple, qu’on choisisse des domaines où le Québec se démarque particuliè­rement, comme les matériaux, les systèmes électroniq­ues, les trains d’atterrissa­ge ou encore l’intelligen­ce artificiel­le. Cette aide pourrait passer principale­ment par le financemen­t de centres de recherche et leur maillage avec les entreprise­s.

« Contrairem­ent à ce que la nouvelle d’aujourd’hui pourrait laisser croire, le secteur québécois se révèle très bien placé. »

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CLÉMENT SABOURIN AGENCE FRANCE-PRESSE Il est difficile de se défaire de l’impression que Bombardier, qui s’est longtemps vanté d’être le troisième fabricant aéronautiq­ue au monde, est en train aujourd’hui d’organiser sa sortie, à tout le moins du secteur des avions commerciau­x.

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