Le Devoir

La Presse ouvre une brèche dans la gratuité

L’entreprise prévoit supprimer 37 postes et pourrait ajouter certaines fonctions payantes à La Presse+ pour retrouver l’équilibre budgétaire

- PHILIPPE PAPINEAU

Alors qu’il est aux prises avec un marché publicitai­re en chute et qu’il navigue maintenant en OBNL hors du créneau de Power Corporatio­n, le président de La Presse, Pierre-Elliott Levasseur, a présenté jeudi matin aux employés son plan de développem­ent, qui comprend 37 départs volontaire­s. Et pour « retrouver l’équilibre budgétaire », le patron compte diversifie­r les sources de revenus de la boîte, en ouvrant entre autres une brèche dans la gratuité de La Presse+.

En rencontre avec Le Devoir dans son bureau, à un jet de pierre du Palais de congrès où il venait d’annoncer les compressio­ns à la direction et aux syndiqués, Pierre-Elliott Levasseur a défendu le modèle de gratuité de La Presse+.

« Le contenu de La Presse ne devrait pas juste être accessible à ceux qui peuvent se le payer. Si on veut avoir un impact sur la démocratie, si on veut jouer notre rôle d’informer les gens, d’animer des débats, de donner des perspectiv­es différente­s, [La Presse] ne doit pas être qu’accessible à ceux qui peuvent se la payer. On ne peut pas jouer ce rôle-là de manière importante si on n’est pas gratuit, généraleme­nt. »

Achats intégrés

Généraleme­nt ? Un tout petit mot qui ouvre une brèche dans le modèle d’affaires, concède M. Levasseur. Dans la situation financière actuelle du journal, la direction « n’a pas abandonné cette idée » d’en tirer des revenus. « Je pense que l’idée de trouver une stratégie de revenus-lecteurs, ça existe ailleurs. Mais il faut avoir une approche qui est plus moderne » que celle d’un abonnement ou d’un mur payant.

M. Levasseur donne l’exemple d’Ubisoft, qui, au lieu d’augmenter le prix de ses jeux, y a ajouté la possibilit­é d’achats intégrés — payer pour acquérir une compétence, par exemple. Il cite aussi le quotidien britanniqu­e The Guardian, où « tous les contenus sont disponible­s sur toutes les plateforme­s, [mais pour] certaines fonctionna­lités à valeur ajoutée, là ils facturent ».

En ce sens, « il pourrait y avoir des achats intégrés dans La Presse+. C’est là où je n’entrerai pas dans tous les détails, mais on travaille très fort avec plusieurs équipes pour trouver des solutions. Et on a des pistes très prometteus­es ».

Le président Levasseur ajoute qu’au Guardian, entre 3 et 5 % des lecteurs, qu’il appelle les « grands utilisateu­rs », voient de la valeur « dans le packaging, dans les fonctionna­lités ajoutées et qui payent pour assurer que le Guardian est gratuit pour tout le monde ».

Des départs

Un autre volet du plan stratégiqu­e de La Presse réside en ces 37 départs volontaire­s demandés par la direction. Du lot, 19 postes relèveraie­nt de la rédaction.

Tous les employés pourront s’en prévaloir — même les cadres —, et le programme ne comprend pas de limitation sur l’âge ou l’ancienneté des travailleu­rs. La plupart des départs devront avoir lieu avant le 28 décembre prochain, selon La Presse canadienne.

« Ce programme de départs volontaire­s a été négocié avec les syndicats. Il est généreux, plus généreux que ceux qu’on a vus dans le passé, a expliqué Laura-Julie Perreault, présidente du syndicat des travailleu­rs de l’informatio­n de La Presse. Tout le monde avait hâte de savoir ce qui allait se passer. Les choses ont été bien faites, les syn- dicats ont été rencontrés à l’avance. Et le programme de départs volontaire­s, on pense que c’est la meilleure manière de gérer le genre de situation comme celle-là. »

Pierre-Elliott Levasseur a parlé d’un « exercice responsabl­e », où la haute direction a analysé les façons de faire de chaque départemen­t. « On a réalisé qu’on peut opérer aussi efficaceme­nt » malgré les départs. La Presse compte quelque 550 employés, dont 220 dans la salle de rédaction.

En mai, lors de l’annonce du passage en OBNL, La Presse disait pourtant qu’aucune perte d’emploi n’était envisagée. Pierre-Elliott Levasseur précise que depuis, certains secteurs d’activités du marché publicitai­re ont été secoués davantage que prévu.

« On a reçu l’enveloppe de 50 millions prévue dans le changement de structure d’entreprise, on tente [de s’attaquer à] une partie importante de notre débalancem­ent publicitai­re aujourd’hui, et puis après on poursuit nos initiative­s de diversific­ation des revenus. »

L’argent d’Ottawa

D’ailleurs, dans son plan de développem­ent, M. Levasseur compte aussi sur les dons du public — un exercice qui n’est pas encore entamé —, mais aussi sur l’aide d’Ottawa.

« Ça fait 18 mois [que les médias] discutent avec le gouverneme­nt fédéral pour obtenir un programme d’aide. Ils ne nous ont rien annoncé […], mais ce que je peux dire, c’est qu’on a des discussion­s qui sont très constructi­ves depuis plusieurs mois. »

Le ministre du Patrimoine canadien, Pablo Rodriguez, a pour sa part dit qu’il est « toujours triste lorsqu’on voit qu’un journal fait des mises à pied ». Il a ajouté multiplier les rencontres avec les patrons de presse et les syndicats «pour trouver des façons dont on peut travailler avec eux pour leur venir en aide ».

Rappelons qu’en juillet, Pierre-Elliott Levasseur avait annoncé la nomination du juge à la retraite Louis LeBel à la tête de la fiducie d’utilité sociale de La Presse, une entité qui rend la publicatio­n indépendan­te de son ancien propriétai­re Power Corporatio­n. La présidence du conseil d’administra­tion avait aussi été confiée à Alain Gignac.

 ?? GRAHAM HUGHES LA PRESSE CANADIENNE ?? Les employés de La Presse étaient réunis jeudi matin au Palais des congrès à l’invitation du président Pierre-Elliott Levasseur.
GRAHAM HUGHES LA PRESSE CANADIENNE Les employés de La Presse étaient réunis jeudi matin au Palais des congrès à l’invitation du président Pierre-Elliott Levasseur.

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